jeudi 29 mai 2014

La lettre C

Les mains en l'air, monsieur Copé, vous êtes cerné.


La langue française n’utilise pas, ou presque, la lettre K, onzième lettre de l’alphabet – c’est d’ailleurs là un trait partagé parmi les langues romanes. Le K est principalement dévolu aux mots d’origines étrangères, aux emprunts de notre langue au japonais (pour le karaté), au maori (pour le kiwi), à l’anglais (pour le kart) ou au danois (pour le kayak). Pour le reste, pour notre héritage latin, nous avons, pour retranscrire le phonème [k], le choix entre le Q et le C. Il y aurait beaucoup à écrire sur l’inutilité du Q, consonne compliquée qu’il est généralement impossible d’utiliser sans la faire suivre d’un U, et qui, de fait, ne se retrouve employé que dans quelques mots caricaturaux. Le C, lui, est un autre cas problématique : un coup il se prononce [s], un coup il se prononce [k], en fonction de la voyelle qui le suit – il peut même être orné d’une cédille (et ressembler à Ça) pour contrevenir aux règles précédemment évoquées. C’est pourtant lui que la langue française (à l’instar de l’italienne ou de la portugaise) a chargé de représenter à 95% la prononciation de ce fameux phonème [k].

Car il faut bien se l’avouer, le K a plus de gueule. Son nom, déjà, K (prononcer « ka »), a davantage de caractère que le pauvre C (« sé »). Sa physionomie, ensuite, ces barres qui partent dans tous les sens, tout ça lui assure un charisme évident, que le C, hélas, est loin de partager. C’est l’un des regrets que j’ai vis-à-vis de ma langue maternelle : qu’elle n’ait pas su incorporer plus efficacement le K, lettre jouissive à tracer – pas autant, certes, que le Z plus gâté par la deuxième personne du pluriel.

Ainsi, alors que les Etats-Unis, pays de langue anglaise et donc beaucoup moins complexés que nous dans l’usage du K, alors donc qu’ils ont eu JFK, nous, en France, nous avons eu JFC.

JFK, le vrai


JFK, c’est bien sûr John Fitzgerald Kennedy, trente-cinquième président des Etats-Unis (premier catholique à accéder à cette fonction), mort assassiné à Dallas, icône américaine au point que le principal aéroport de New York porte son nom, ainsi que deux porte-avions ou le théâtre de Washington.

JFC, c’est Jean-François Copé, homme politique français des années 2000 et 2010 à propos duquel il devient chaque jour un peu plus certain qu'il ne montera jamais plus haut que Ministre du Budget (fonction occupée de 2004 à 2007), ce qui est particulièrement tragique si l’on considère que, davantage qu’aucun autre homme politique en France, Copé avait clamé son désir de devenir un jour Président de la République. Personne, parmi les ambitieux de sa génération (Valls, NKM, Montebourg ou Xavier Bertrand), ne s’est épanché sur le sujet avec autant d’ardeur, ni si fréquemment, et même Nicolas Sarkozy, en son temps, avait été plus évasif. Copé, lui, affiche son ambition depuis des années et des années – depuis près de dix ans, en fait. Et la vie, souvent, est capricieuse : elle adore punir ceux qui ont ouvert trop grand leurs gueules, pour parler trivialement.

Aujourd’hui, Copé est sur le point de quitter ses fonctions à la tête de l’UMP, fonctions qu'il avait usurpées à François Fillon après le scrutin vraisemblablement truqué de novembre 2012. Alors qu’il était déjà depuis longtemps l'homme politique le moins apprécié des Français, le coup porté par l’affaire Bygmalion risque de l’abattre pour de bon : même le plus fervent militant du parti ne pourra pas empêcher une hésitation au moment de glisser dans l’urne un bulletin au nom de Jean-François Copé. C’est ce qu’on appelle être grillé.

L'homme a commis deux erreurs : la première, c’est de s’être cru plus malin que tout le monde ; la seconde, c’est de s’être fait des ennemis jurés. Au premier rang de ceux-ci, François Fillon, qui n’a toujours pas digéré l’élection volée de 2012 et qui vient d’obtenir sa vengeance, avec l’éviction de Copé. A la tête de l’UMP, désormais, on retrouve un triumvirat composé de Fillon, donc, ainsi que d’Alain Juppé et de Jean-Pierre Raffarin. On ne pouvait pas rêver mieux pour barrer la route à un retour de Sarkozy.

Les Dalton


Parce que derrière le fusible Copé, c’est bien l’ancien président qui se retrouve en ligne de mire. Il avait réussi à placer Copé à la tête du parti, c’est-à-dire à qu’il continuait, en sous-main, à piloter l’UMP, Copé étant le seul des barons à leur avoir publiquement déclaré allégeance. Désormais, il doit composer avec Fillon, qui ne cache pas son envie d’en découdre avec celui dont il fut premier ministre, Juppé, qui veut se poser en recours, et Raffarin, qui, s’il n’a sans doute pas d’ambition présidentielle, fut quand même l’un des premiers, parmi les ténors du parti de droite, à prendre ses distances avec le tournant droitier la campagne de 2012. Aucun des trois ne souhaite un retour aux affaires de Sarkozy, et à constater l’absence de pitié dont ils ont fait preuve en sacrifiant Copé, il ne fait aucun doute qu’ils se montreront aussi intraitables vis-à-vis de leur ancien patron, déjà cerné par les affaires judiciaires (affaire Tapie, affaire Karachi, affaire Buisson, affaire Kadhafi, affaire Bygmalion, affaire Bettencourt, affaire des sondages de l'Elysée…).

Copé se rêvait JFK et ne fut que JFC, sigle qu'il partage avec le Jurançon Football Club, qui, sans lui manquer de respect, n'est pas le Real Madrid, ni même l'US Quevilly. Il est fort probable que sa carrière politique soit terminée, loins des ors qu'il convoitait tout haut. La faute à la lettre C.



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