dimanche 21 juin 2015

La Loi de Murphy 1 : Brittany et moi


La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article.

Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était (Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos promotionnelles du film 8 Mile, vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que je ne parviens pas bien à expliquer.

Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun film, ma réponse aux questions « quelle est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a invariablement été « Brittany Murphy ».

Un an plus tard, j’ai vu 8 Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis encore The Dead Girl, et j’ai alors pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse, prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie que dans le drame.

Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa  jeune carrière semblant en plein essor, les photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus détournements, également appelés captions sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews, conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog, assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.

La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood.
J’ai suivi sa carrière avec davantage d’attention que celle d’aucun autre comédien avant elle. Long chemin de croix. Car oui, le fait est dur, brutal même, cruel enfin : Brittany Murphy a raté sa carrière. La faute à pas de chance, à la poisse, au destin, à ce qu’on veut : en trouvant peu de rôles à la hauteur de son talent, en ne tournant que dans une minuscule poignée de films destinés à traverser les époques (et dans lesquels elle en était souvent réduite à jouer les utilités), elle est patiemment, méthodiquement, même, passée à côté de sa carrière. Le plus grand réalisateur avec lequel elle ait collaboré est George Miller (auquel on doit, entre autres, la série des Babe et celle des Mad Max), mais c’était pour Happy Feet, un film d’animation dans lequel elle se cantonne au doublage d’un manchot empereur – on a vu meilleur passeport pour la gloire. Elle a certes donné la réplique à des comédiens de l’envergure de Christopher Walken, Reese Witherspoon, Angelina Jolie ou Benicio Del Toro, mais ce fut toujours pour se retrouver en retrait, loin du haut de l’affiche, et dans des films qui sont loin de compter parmi les plus hauts faits des carrières des intéressés.

En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine, sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.

Le succès, en 2005, de Sin City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse machine hollywoodienne (on parla des Expendables de Stallone, d’un des Batman de Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était pas tout bonnement supprimé du scénario.

Sous influence nippone.
Tout ce petit manège se poursuivit jusqu’en décembre 2009, où la nouvelle tomba, inattendue mais si terriblement prévisible : Brittany Murphy était morte, à l’âge de trente-deux ans, dans des conditions sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Et c’est ainsi que l’actrice américaine la plus talentueuse de sa génération (j’insiste) disparut, sans avoir eu le quart de la carrière que ses qualités méritaient ni avoir eu de réelle occasion de démontrer sa valeur dans un rôle à sa mesure, se contentant de bout en bout d’un statut de starlette de seconde zone, généralement considérée avec bienveillance (car les vidéos de ses interviews montrent une jeune femme délurée, souvent drôle, toujours ravissante : le stéréotype de la bonne cliente) mais avec la pointe de mépris que l’on réserve à celles et ceux qui ont, finalement, raté leur vie, et qui, dès lors, ne représentant plus aucune menace pour qui que ce soit.

A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie), un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de faux (« comment voulez-vous que je prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »), une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours, a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.

Au mur de ma chambre.

L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice préférée, et de la plus belle fille du monde.



Retrouvez le reste du dossier consacré à Brittany Murphy en cliquant sur cette page, et accédez directement à l'article suivant ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire