Une affiche qui sent le chef d'oeuvre... |
Quand Brittany Murphy est morte, en ce dégueulasse matin de
décembre 2009, elle ne se doutait pas, la pauvre, qu’à l’instar d’un wagon de
célébrités de seconde zone disparues précocement, elle ferait l’objet, cinq ans
à peine après son décès, d’un biopic. Le biopic, c’est la biographie filmée,
c’est-à-dire un film qui retrace la vie d’une sommité, ou qui revient sur son
œuvre, ou qui s’attache à un ou plusieurs épisodes marquants de son existence.
Si le genre a vu naître quelques véritables chefs d’œuvres (Last Days de Gus Van Sant sur Kurt
Cobain ou Raging Bull de Martin Scorsese sur Jake LaMotta), il est
généralement propice à un festival d’académisme, sans prise de risques
artistique aucune, et où tout l’enjeu se situe sur la performance de l’acteur
principal et son degré de mimétisme vis-à-vis de son modèle : ainsi, Jamie
Foxx en Ray Charles ou Eddie Redmayne en Stephen Hawking ont trouvé, dans
l’incarnation de modèles prestigieux, le plus rapide et le plus efficace des
laissez-passer pour l’Oscar du meilleur acteur, tout en inscrivant leurs
prestations dans des films à peu près nuls.
Heureusement, rien de tout ça dans The Brittany Murphy Story. Le biopic consacré à feue mon actrice
préférée n’est pas seulement un film nul, loin de là. C’est surtout un
authentique nanar de compétition, navrant de bout en bout – une heure vingt qui
en paraît cinq. Tourné en seize jours et visiblement écrit en vingt minutes, il
apparaît comme un hommage involontaire aux choix de carrière pas toujours
judicieux de son héroïne, qui, si elle avait poursuivi sur la voie dans
laquelle elle semblait s’engager avant de décéder bêtement, aurait
vraisemblablement fini par échouer dans des productions de ce niveau. Reste
qu’elle les aurait sûrement bonifiées par son talent, qui fait ici cruellement
défaut.
Par où commencer ? Par le casting, peut-être.
Quand le meilleur personnage est celui d’Ashton Kutcher (jeune premier à la
mode au début des années 2000, héros de Hé
mec, elle est où ma caisse ? et de L’Effet
papillon, éphémère fiancé de Brittany Murphy qu’il avait rencontrée sur le
tournage de Pour le meilleur et pour le
rire et surtout connu pour avoir été marié à Demi Moore) qui doit ici apparaître
une dizaine de minutes, forcément, c’est que quelque chose cloche quelque part.
Et fatalement, quand on regarde le reste de la distribution (peu fournie), le
bât blesse. L’acteur qui interprète Simon Monjack, le mari de Brittany, est une
sorte d’hybride hagard de Jean-Luc Mélenchon et d’un ours en peluche,
absolument incapable de faire sourdre la potentielle dangerosité de son
personnage, et si la comédienne qui interprète la mère de l'actrice, Sherilyn
Fenn (vue dans Twin Peaks), est
légèrement meilleure, elle est tellement mal dirigée qu’elle semble jouer dans
un autre film que ses partenaires.
Quant à Amanda Fuller, qui incarne Brittany Murphy, elle ne
parvient jamais à rappeler son modèle. Déjà, elle ne lui ressemble pas du tout,
mais cela ne serait pas rédhibitoire si, par son jeu, elle parvenait à
l’évoquer (après tout, Leonardo diCaprio faisait un Howard Hugues confondant et
Reese Witherspoon une June Carter monstrueuse, ce qui n’était pas gagné en
mettant côte-à-côte leurs photos et celles de leurs modèles). Hélas, sa palette
de comédienne ne dispose que de deux expressions, la moue triste et le sourire joyeux
– quand on sait à quel point la personnalité de la Brittany Murphy actrice
passait par ses yeux fous et ses lèvres mobiles, c’est très insuffisant. Au
niveau de l’investissement physique vis-à-vis de son personnage, c’est encore pire :
si, au début du film, alors que Brittany est sensée être encore un peu grassouillette,
son double menton est crédible, à la fin, lorsque maladie, anorexie et
dépression la cernent, il fait franchement tache. Mais ce n’est rien par
rapport à la façon dont son interprétation colore son personnage : Brittany Murphy n’apparaît
jamais autrement que comme une ado niaise et mal dégrossie, jamais sexy,
souvent rabat-joie et à moitié débile. Il n’est pas certain que ce soit un
choix délibéré de la part de la production, et on peut donc penser qu’une
grande partie ce résultat est à mettre à l’actif de cette pauvre Amanda
Fuller.
Mais l’interprétation n’est même pas le point le plus faible
du film. Sa réalisation met la barre un cran plus haut encore. Le manque de
moyens est évident, mais ne justifie pas tout : les perruques de certaines
comédiennes sont carrément visibles – et on ne me fera pas croire qu’il n’y
avait vraiment pas moyen de trouver une comédienne blonde dans tout Hollywood
pour venir dire les trois phrases dévolues au personnage d’Alicia Silverstone.
Mieux encore, les plans ne signifient jamais rien : ils montrent les
acteurs qui jouent des personnages et enregistrent ce qui se dit, c’est tout.
Rien, d’ailleurs, n’est jamais signifié autrement que par le dialogue, et les
rares fois où il se passe quelque chose qui relèverait plus ou moins de
l’implicite (Sharon, la mère de Brittany, est peu enthousiaste lorsqu’elle
rencontre Simon, son nouveau petit ami), c’est lourdement appuyé quelques
secondes après (Simon va retrouver Sharon dans la cuisine et lui dit quelque
chose comme « Sharon, je vous sens
méfiante », ce à quoi elle répond un truc du style « oui, Simon, je le suis », et Simon
de gagner illico sa confiance) sans même avoir pris le temps de créer un vrai
malaise.
Visiblement conscient des limites évidentes de la réalisation,
le scénario s’arrange pour effectuer des ellipses dès qu’il s’agirait de
montrer quelque chose aux enjeux plus complexes qu’une simple discussion.
Ainsi, la rencontre de Brittany avec un personnage aussi sulfureux qu’Eminem,
sur le tournage de 8 Mile, n’apparaît
pas (le rappeur est mentionné une fois mais n’est présent dans aucune scène)
alors même qu’il s’agit de l’un des films les plus cruciaux de la carrière de
l’actrice. Sa rupture avec Ashton Kutcher non plus, ni son premier baiser avec
Simon. Même son malaise fatal n’est pas filmé, et les paparazzis, présentés par
le film comme les grands méchants qui ont précipité la mort de l’actrice (Simon
leur lance, en ouverture du film, un vengeur « C’est vous qui l’avez tuée ! ») ne sont visibles que tant
qu’ils ont l’actrice à la bonne, disparaissant dès qu’ils semblent se retourner
contre elle.
Ce défaut scénaristique (est-il dû à la nullité des
scénaristes ou bien à leur volonté de ne pas mettre dans l’embarras une
réalisation proche de l’amateurisme ? mystère) est loin d’être le seul. En
effet, le recours à certaines ficelles grossières (on imagine sans mal les
discussions des scénaristes cherchant à rythmer leur film, à base de « tout va bien ? alors mettons un cancer
à la mère de Brittany pour plomber l’ambiance, puis faisons la guérir à la
scène d’après parce que ça nous emmerde de traiter un sujet pareil, et qu’en
plus comme ça, on se garde sous le coude une opportunité de lui faire faire une
rechute si on a du mal à remplir certains passages ») subit la rude
concurrence de tout ce qui passe à la trappe dès que la scène est finie : Simon
qui fait une crise cardiaque dont on entend plus jamais parler, Ashton qui éveille sa jalousie en s’invitant au repas d’anniversaire de Brittany au cours
d’une scène aussitôt oubliée par l’ensemble des protagonistes, Sharon Murphy qui, voyant sa fille prendre un cachet, s’écrie « des antidépresseurs ! » avec
la même horreur que si sa fille lui annonçait qu’elle se pique à l’héro mais
considère ça comme étant tout à fait normal dès le plan suivant, Simon qui fait
lire à Brittany un scénario qu’il a écrit pour elle et dont il ne sera plus
jamais question sitôt le dialogue terminé... Bref, ça n’a ni queue ni tête, les
scènes se suivent sans la moindre logique, comme si ni le réalisateur ni les
acteurs ne savaient dans quel ordre elles allaient ensuite être assemblées.
Même la chemise que porte Simon dans cette scène ne parvient pas à sauver le film du nauvrage. |
Surtout, et c’est là le plus embêtant, quand le film se
termine, on n’en sait pas davantage sur Brittany Murphy qu’après avoir lu sa
page Wikipédia, et même plutôt moins. Tout ce qu’on voit, c’est une fille
geignarde et nunuche, incapable de sortir des jupes de sa mère, à l’opposé du
petit détonateur sexy et plein de peps qu’était l’actrice du temps où elle
arpentait encore les plateaux télés. Ce qui l’a tuée ? La méchanceté du
monde, et des paparazzis en particulier, qu’elle a eu la bêtise de prendre pour
ses amis (Simon a beau lui lancer à plusieurs reprises, dès leurs premières
rencontres « ces types-là ne sont
pas vos amis », ça ne l’empêche pas de se lamenter à la fin du film
« je croyais que c’étaient mes amis »),
et sûrement pas les médicaments, dont la consommation n’est jamais interrogée,
ni la drogue (le film passe même sous silence le tabagisme de l’actrice), si
bien qu’à la fin du film, quand Brittany, malade, est alitée, on a aucune idée
du mal dont elle souffre – c’est comme si le film s’interdisait de prendre parti à chaque fois qu’il en a l’occasion.
De la même façon, la dimension potentiellement malsaine du
ménage à trois qu’elle a formé avec sa mère et Simon n’est jamais exploitée,
ni, plus largement, le rapport ambigu qu’elle entretient avec sa génitrice (le
parti pris pour signifier l’aspect fusionnel de leur relation est désarmant de
simplicité : Sharon Murphy dit amen à tout ce que souhaite sa fille, et en
étant contente, histoire que cette dernière ne passe pas pour une gamine
capricieuse). Le pacte faustien qu’elle passe en épousant Simon (escroc minable
et scénariste sans talent, magouilleur sans envergure et stéréotype du raté)
n’est exploité d’aucune autre façon que lorsqu’il lui répète qu’il veut « relancer sa carrière », et c’est
peu dire qu’il le répète souvent, sans qu’on le voit jamais agir (ni ne pas
agir, d’ailleurs, ce qui aurait pu constituer une piste intéressante – on
comprend que cette perspective ait fait reculer les scénaristes).
Plus largement, le couple formé par la starlette et son
Pygmalion amateur n’est crédible à aucun moment. Les scénaristes utilisent
pourtant une ficelle éculée depuis des dizaines d’années en décidant de faire
de Simon une sorte d’ange-gardien bedonnant et mal rasé qui veille sur Brittany
et surgit toujours au bon moment pour la tirer d’affaire, ils sont pris à
revers : si, en se forçant un peu, on parvient à imaginer ce que Brittany
peut trouver de rassurant et de touchant chez ce raté un peu gauche mais
protecteur, on a les pires peines du monde à comprendre ce que lui peut bien
apprécier chez elle, qui n’est ni belle, ni drôle, ni intelligente, d’autant
que la piste d’une union intéressée est évacuée sitôt évoquée.
Alors qu’il y avait matière à faire un beau film sur les
illusions brisées, sur le rêve américain qui vole en éclats contre les collines
d’Hollywood, ou alors un thriller façon Dahlia
noir sur la mort mystérieuse d’une jeune starlette, The Brittany Murphy story prend la forme d’un banal empilement de
scènes vaguement unifiées par une esthétique de téléfilm cheap. Brittany
Murphy, son entourage parfois trouble (sa mère possessive, son mari arnaqueur,
son père qui a passé douze ans en prison – il n’apparaît pas dans le film et
son existence n’est pas mentionné une seule fois) et ses fréquentations rock’n
roll en diable (Eminem, Mickey Rourke, Drew Barrymore, Mohamed Al-Fayed… il y
avait au moins matière à faire une belle galerie de portraits) méritaient tous
d’être mieux exploités. Le réalisateur, Joe Menendez, et le tandem de scénaristes
formé par Peter Hunziker et Cynthia Riddle ont préféré faire un portrait de
l’actrice en cruche de compétition, dont la mort, laissée inexpliquée, n’émeut
personne (malgré une scène quasi-finale plus que gênante où, dans la salle de
bain fatale, Simon et la mère de Brittany, agenouillés et en larmes sur le
corps inerte de l’actrice, tentent de la ranimer en l’aspergeant – piteuse
pietà).
Le genre de tête que Brittany, la vraie, aurait faite si elle avait pu voir le film. |
Sans surprise, le film (qui n’a même pas eu les honneurs d’une sortie en salles) a reçu une volée de bois vert de la part de la critique. De façon non moins prévisible, le père et la mère de Brittany, pour une fois sur la même longueur d’onde, ont déclaré qu’il s’agissait d’une merde qui ne restituait rien de ce qu’avait été la vie de leur fille. Quant à moi, entendons-nous bien : si je l’ai vu, c’est principalement pour vous éviter d’avoir à le faire.
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