Cette édition du Tour était particulièrement attendue du fait de son tracé inhabituel (très peu de contre-la-montre) et de son plateau quatre étoiles (les Quatre Fantastiques que sont Alberto Contador, Vicenzo Nibali, Christopher Froome et Nairo Quintana sont pour la première fois alignés au départ d'une même course). Aujourd'hui, le peloton a connu son premier jour de repos depuis le départ d'Utrecht, le 4 juillet dernier. L'occasion de revenir en cinq points sur ce qu'on a pu observer depuis le début de l'épreuve.
Les équipes des leaders à la manoeuvre : Katusha pour Rodriguez, Tinkoff pour Contador, Movistar pour Quintana et Sky pour Froome. |
1) Le succès du parcours
Il y a quelques années, la première semaine du Tour était
invariablement marquée par une succession ininterrompue d’arrivées aux sprints,
permettant généralement un affrontement entre Mario Cipollini et Erik Zabel,
les deux plus grosses pointures des années 90. Depuis l’arrivée de Christian
Prudhomme aux commandes, ce temps est révolu. Désormais, l’objectif avoué est
de multiplier les pièges, et donc les moments où la course peut se jouer, avant
même les premières étapes de montagne, ce qui incite les équipes des principaux
leaders à prendre les choses en main dès les premiers jours de course. On a
ainsi souvent vu la Tinkoff d’Alberto Contador à la manœuvre, tout comme Sky
pour Christopher Froome, BMC pour Tejay Van Garderen ou Astana pour Vicenzo
Nibali.
En conséquence directe, en neuf étapes, il n’y a eu que deux
arrivées massives, qui ont vu la victoire d’habitués : André Greipel à
Amiens (sa huitième victoire sur le Tour) et Mark Cavendish à Fougères. Le
reste des étapes a donné lieu à l’écrémage attendu : bordures dès la première
étape en ligne (également remportée par Greipel), arrivées pour puncheur au
Havre, à Mûr-de-Bretagne et bien sûr à Huy, et constitution d’un groupe d’hommes
forts sur l’étape des pavés. En conséquence, le classement général est déjà
bien décanté : le dixième est déjà à plus de deux minutes du maillot
jaune, le vingtième à quatre minutes et demie. Les deux contres-la-montre
(individuel à Utrecht, par équipes dans le Morbihan) ont également contribué à
creuser les premiers écarts entre favoris.
Au sujet des pavés, un petit bilan s’impose. Alors qu’ils n’avaient
fait qu’une incursion entre 1992 et 2010 (en 2004, avec deux minuscules
secteurs, qui avaient pourtant ôté tout espoir de victoire finale à Iban Mayo),
ils ont été au programme trois fois en six ans, dont deux de suite : cette
année et l’année dernière, pour trois résultats différents. En 2010, alors qu’il
y avait finalement assez peu de kilomètres à parcourir sur les pavés, on avait
pourtant assisté à la mise hors jeu du troisième et du quatrième de l’édition
précédente de la Grande Boucle : Lance Armstrong, qui avait perdu près de
trois minutes en raison d’une crevaison, et Frank Schleck, victime d’une
fracture de la clavicule après une mauvaise chute, et qui abandonnait – devant,
Andy Schleck et Cadel Evans terminaient dans le premier groupe, réglé par Thor
Hushovd, tandis que Menchov, Vinokourov et Wiggins perdaient moins d’une
minute, et Contador à peine plus. 2014 avait vu, sous une pluie diluvienne, le
maillot jaune Vicenzo Nibali réussir un coup de force impressionnant, en
faisant rouler à bloc son équipe, en se montrant supérieur à bon nombre de
spécialistes tels que Fabian Cancellara, Peter Sagan ou Sepp Vanmarcke, et en
reléguant tous ses adversaires pour la victoire finale à plus de deux minutes
au classement général.
Quand les pavés transforment le Tour de France en Paris-Dakar... |
Malgré un nombre de secteurs aussi important, cette année, l’écrémage
a été nettement moindre : les quatre grands favoris, Froome, Contador,
Nibali et Quintana terminant dans le groupe de tête. Néanmoins, il ne s’agit
pas de considérer l’étape comme un échec pour les organisateurs. Le responsable
du tracé du Tour, Thierry Gouvenou, avait annoncé, l’année dernière, vouloir
faire de la célèbre Trouée d’Arenberg, plus illustre secteur pavé de la
classique Paris-Roubaix, l’Alpe d’Huez du Nord de la France. Quand on sait que
l’ascension vers la célèbre station de ski est la montée la plus prisée de la
course au point d’être le théâtre d’une arrivée au sommet tous les deux ans, on
peut imaginer que le recours aux pavés a de bonnes chances de devenir quasi
systématique, ce qui signifie immanquablement une certaine normalisation. Mais
cette normalisation ne sera jamais une banalisation : l’évènement restera
craint par de nombreux favoris, et la course, à défaut de s’y gagner, pourra
toujours s’y perdre. Deux évolutions seront même vraisemblablement étudiées ces
prochaines années : un passage sur les ribinoux, en Bretagne (ces routes
de terres où se dispute chaque année le Tro Bro Léon, l’une des courses les
plus enthousiasmantes de l’année, et où le cas technique posé par la logistique
de la caravane du Tour pourrait poser problème) et la diversification de l’emploi de secteurs pavés (l’hypothèse d’un
tracé qui placerait ce type d’étapes en troisième semaine, par exemple, ou bien
en tant que contre-la-montre).
2) Quelques jolis numéros
La première étape, un contre-la-montre individuel de près de
quatorze kilomètres, avait donné le ton, avec une victoire de l’Australien
Rohann Dennis, auteur de la prestation solitaire la plus rapide de l’Histoire
du Tour et classé devant les trois plus grands spécialistes de la discipline
que sont Cancellara, Tony Martin et Tom Dumoulin : pour s’imposer sur la
moindre étape, il faudrait être extrêmement fort, tant le plateau est relevé
cette année sur la Grande Boucle. Ainsi, on a eu le droit à quelques autres
victoires pleines de classe : lors de l’arrivée au mur de Huy, Joaquim
Rodriguez, en habitué des lieux (il y avait remporté la Flèche Wallonne en
2012) faisait parler son punch et résistait à Froome. Quelques jours plus tard,
à Mûr-de-Bretagne, le Français Alexis Vuillermoz a confirmé son potentiel en
devançant tous les favoris pour le classement général grâce à une attaque
tranchante.
Alexis Vuillermoz en train de faire la nique à tous les favoris. |
L’étape des pavés, qui menait les coureurs à Cambrai, a été
l’occasion pour Tony Martin de rentrer un peu plus dans l’Histoire du Tour. Triple
champion du monde du contre-la-montre, l’Allemand n’a de cesse de prouver,
depuis trois ans, qu’il n’est pas qu’un expert de l’exercice chronométré.
Auteur d’une chevauchée aussi épique que vaine en 2013 sur le Tour d’Espagne,
où il n’avait été repris par les sprinters que vingt mètres avant la ligne d’arrivée,
il avait connu une fortune meilleure l’année dernière, en s’imposant
brillamment à Mulhouse au terme d’une longue échappée solitaire dans les Vosges.
Cette année, c’est en sortant énergiquement du peloton dans le final de l’étape
pavée qu’il a réussi à s’imposer, en profitant de l’absence d’équipiers pour
les sprinters après les nombreuses cassures qu’il y avait eu plus tôt dans l’étape
pour franchir la ligne en vainqueur et ravir le maillot jaune à Christopher
Froome.
3) Les chutes
Le bonheur de Martin a été de courte durée. Deux jours plus
tard, lors de l’arrivée au Havre, victime d’une chute dans le final, il est
victime d’une fracture de la clavicule et doit abandonner. Il n’est pas le
premier à avoir tâté le bitume cette année. Les images du spectaculaire
carambolage de la troisième étape ont fait le tour de toutes les télés du monde
pendant quelques heures. Le Français William Bonnet est tombé le premier,
entraînant avec lui une vingtaine de coureurs, déclenchant bien malgré lui l’un
des moments les plus déconcertants de la course jusqu’à présent : sa
neutralisation pure et simple pendant une bonne vingtaine de minutes, l’ensemble
des coureurs mettant en même temps pied à terre à une quarantaine de kilomètres
de l’arrivée, sur décision de la
direction du Tour. L’évènement, aussi rarissime que commenté, s’explique par le
fait que les dégâts étaient si considérables qu’ils monopolisaient l’ensemble
du staff médical de la course, et que celui-ci ne pourrait intervenir si une
autre chute venait à survenir.
Tony Martin mal en point. |
Cette première chute massive a entraîné l’abandon de
plusieurs coureurs de marque, dont le maillot jaune de l’époque, Cancellara,
Simon Gerrans ou encore Tom Dumoulin. Tombé lui aussi ce jour-là, l’Australien
Michael Matthiews, valeur montante du sprint mondial qui, s’il avait été en
pleine possession de ses moyens, aurait fait figure de sérieux outsider sur l’étape
du Havre, se traîne douloureusement en queue de peloton, souffrant de tous ses
membres épatant de courage. Son compatriote Adam Hansen, l’un des coureurs les
plus sympathiques du peloton, continue lui aussi la course sérieusement amoché,
décidé à boucler son douzième Grand Tour consécutif, ce qui constituera le
record de l’ère moderne du cyclisme.
Parmi les autres victimes de chutes, on trouve le sprinter
français Nacer Bouhanni, déjà malheureux il y a quinze jours sur le championnat
de France où il s’était retrouvé à terre, le Sud-Africain Daryl Impey qui avait
porté le maillot jaune pendant deux jours en 2013, le Suisse Michael Albasini
ou encore le néo-Zélandais Jack Bauer, tous contraints à l’abandon. Sans qu’il
y ait eu pour eux de réelles conséquences au classement général ni de séquelles
physiques importantes, plusieurs favoris ont également eu l’occasion de goûter
de près l’asphalte des routes française : Nibali et Quintana ont été
entraînés par Tony Martin dans sa chute, et Contador est lui tombé juste avant
le départ de la septième étape.
Basso (à droite) annonçant sa maladie, accompagné par son leader Alberto Contador. |
4) Le retour des affaires de dopage
Depuis 1998 et l’affaire Festina, le Tour de France est
immanquablement, ou presque, l’objet d’un regard particulièrement acéré de la
part des spécialistes de la lutte antidopage. S’il y avait eu une accalmie en
2013 et 2014 (aucun coureur contrôlé positif sur la course), le fléau a fait sa
réapparition cette année. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit de cas très
marginaux, et suffisamment flous l’un comme l’autre pour ne pas engendrer une
vague massive de soupçons comme en 2006 (opération Puerto menée quatre jours
avant le départ, déclassement de Landis) ou en 2007 et 2008 (exclusions
successives de Vinoukourov, Rasmussen, Ricco, Schumacher et Kohl). Ces succès
dans la lutte contre le dopage ne vont pas sans désagrément, l’entraîneur de la
Française des Jeux, Julien Pinot relevant, ironique, que les coureurs de son équipe
étaient tirés de leurs chambres pour un contrôle inopiné à onze heures du soir
pendant qu’au même moment, l’ensemble des chroniqueurs sportifs s’enthousiasmait
à propos de la victoire sous infiltration de Richard Gasquet sur Stan Wawrinka en quarts de finale de Wimbledon (les infiltrations sont interdites en
cyclisme).
Le premier cas est celui du Hollandais Lars Boom, qui n’a
pas été contrôlé positif mais a quand même été au centre d’une controverse qui
a fait couler beaucoup d’encre dans les heures précédant le Grand Départ d’Utrecht.
Vainqueur l’année dernière sur l’étape pavée d’Arenberg, il a rejoint cet hiver
la sulfureuse équipe Astana, dirigée par Alexandre Vinokourov et au centre d’un
certain nombre d’affaires de dopage depuis sa création (Vinokourov lui-même en
2007, Contador en 2010, Kreuziger en 2012, les frères Iglinsky en 2014). Deux
jours avant le début de la course, le Mouvement Pour un Cyclisme Crédible,
association d’équipes désireuse de combattre le dopage, demandait donc à Astana
de ne pas aligner son coureur, dont le taux de cortisol s’était effondré, ce
qui ne constitue pas une infraction en soi aux règles antidopage, mais un
manquement au règlement intérieur du MPCC, plus sévère que celui de l’AMA. Dans
l’incapacité de remplacer Boom, Astana refusait et s’excluait d’office de l’organisme,
contribuant à attiser les tensions dans le peloton.
Luca Paolini a une amie blanche et excitante. |
Un autre coureur a été au centre de la polémique : l’Italien
Luca Paolini. Le coureur de l’équipe russe Katusha, spectaculaire vainqueur,
fin mars, du plus beau Gand-Wevelgem de ces vingt dernières années, a été
contrôlé positif à une substance très inhabituelle : la cocaïne. L’Italien
a été exclu de la course sitôt que le résultat du contrôle a été rendu public,
mais il est vraisemblable qu’il n’ait voulu jouer les Tony Montana qu’à titre
récréatif, sans volonté d’améliorer ses performances. La sanction devrait donc
être assez clémente, même si pour la carrière de Paolini, âgé de trente-huit ans déjà, elle
pourrait être synonyme de clap de fin.
5) Froome déjà en jaune
Du côté des quatre Fantastiques, celui qui a produit la plus forte impression n’est
autre que Christopher Froome. Déjà vainqueur il y a deux ans, le Britannique
possède une avance déjà conséquente sur la plupart de ses rivaux et s’est
surtout montré très costaud lors des rendez-vous les plus attendus, terminant
deuxième derrière Purito Rodriguez à Huy où il prend pour la première fois le maillot jaune, et se montrant offensif sur l’étape
des pavés, là où on l'imaginait plutôt perdre du temps. De plus, la belle prestation de sa formation, la Sky, lors du contre-la-montre par équipe, lui a permis de prendre une avance encore plus confortable sur ses principaux rivaux. Néanmoins, il ne paraît a
priori pas non plus aussi imprenable qu’en 2013 : auteur d’un temps moyen
sur le contre-la-montre d’Utrecht, il n’a pas été capable de répondre à l’attaque
de Vuillermoz à Mûr-de-Bretagne.
Froome et la Sky lors du contre-la-montre par équipes. Une belle brochette de robots. |
Derrière lui, Contador, à un peu plus d’une minute, est le
mieux classé des trois autres Fantastiques. L’Espagnol, en quête de doublé
après avoir déjà remporté le Tour d’Italie en mai, n’a pas été impérial, mais s’en
sort correctement. Sa capacité à récupérer après les efforts effectués sur le Giro reste une grande interrogation : va-t-il monter en puissance au fur
et à mesure de la course, ou au contraire s’éteindre peu à peu ? Encore plus loin, Nairo Quintana limite mieux les dégâts que Nibali : le Colombien est
à deux minutes avant d’aborder la haute montagne, son terrain de prédilection,
tandis que le Sicilien de l’équipe Astana, très attendu sur cette première
semaine qu’on pensait taillée sur mesure pour lui permettre de creuser un bel
avantage sur ses concurrents, a joué de malchance à plusieurs reprises. Victime
des bordures en Zélande, il a échoué à semer les autres Fantastiques sur les
pavés et a chuté au Havre avant de concéder quelques secondes aux autres
Fantastiques à Mûr-de-Bretagne puis de voir sa formation réaliser une
performance décevante lors du contre-la-montre par équipe.
Parmi les outsiders, Tejay Van Garderen, calé en deuxième
position du classement général derrière Froome, et deuxième du dernier Dauphiné,
ce qui est toujours un gage de bonne forme, est celui qui s’en tire le mieux,
tandis que Purito Rodriguez, pourtant vainqueur à Huy, est déjà à presque quatre
minutes, et que Thibaut Pinot, extrêmement malchanceux, a perdu tout espoir de podium. Le meilleur
Français, Tony Gallopin, est onzième à deux minutes et une seconde de Froome,
Barguil, Péraud, Bardet et Rolland sont loin derrière. Mais la montagne arrive
dès demain, et pourrait tout remettre en question.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire