lundi 13 juillet 2015

Tour de France 2015 : Que retenir au bout d'une semaine de course ?

Cette édition du Tour était particulièrement attendue du fait de son tracé inhabituel (très peu de contre-la-montre) et de son plateau quatre étoiles (les Quatre Fantastiques que sont Alberto Contador, Vicenzo Nibali, Christopher Froome et Nairo Quintana sont pour la première fois alignés au départ d'une même course). Aujourd'hui, le peloton a connu son premier jour de repos depuis le départ d'Utrecht, le 4 juillet dernier. L'occasion de revenir en cinq points sur ce qu'on a pu observer depuis le début de l'épreuve. 


Les équipes des leaders à la manoeuvre : Katusha pour Rodriguez, Tinkoff pour Contador,
Movistar pour Quintana et Sky pour Froome.


1) Le succès du parcours

Il y a quelques années, la première semaine du Tour était invariablement marquée par une succession ininterrompue d’arrivées aux sprints, permettant généralement un affrontement entre Mario Cipollini et Erik Zabel, les deux plus grosses pointures des années 90. Depuis l’arrivée de Christian Prudhomme aux commandes, ce temps est révolu. Désormais, l’objectif avoué est de multiplier les pièges, et donc les moments où la course peut se jouer, avant même les premières étapes de montagne, ce qui incite les équipes des principaux leaders à prendre les choses en main dès les premiers jours de course. On a ainsi souvent vu la Tinkoff d’Alberto Contador à la manœuvre, tout comme Sky pour Christopher Froome, BMC pour Tejay Van Garderen ou Astana pour Vicenzo Nibali.

En conséquence directe, en neuf étapes, il n’y a eu que deux arrivées massives, qui ont vu la victoire d’habitués : André Greipel à Amiens (sa huitième victoire sur le Tour) et Mark Cavendish à Fougères. Le reste des étapes a donné lieu à l’écrémage attendu : bordures dès la première étape en ligne (également remportée par Greipel), arrivées pour puncheur au Havre, à Mûr-de-Bretagne et bien sûr à Huy, et constitution d’un groupe d’hommes forts sur l’étape des pavés. En conséquence, le classement général est déjà bien décanté : le dixième est déjà à plus de deux minutes du maillot jaune, le vingtième à quatre minutes et demie. Les deux contres-la-montre (individuel à Utrecht, par équipes dans le Morbihan) ont également contribué à creuser les premiers écarts entre favoris.

Au sujet des pavés, un petit bilan s’impose. Alors qu’ils n’avaient fait qu’une incursion entre 1992 et 2010 (en 2004, avec deux minuscules secteurs, qui avaient pourtant ôté tout espoir de victoire finale à Iban Mayo), ils ont été au programme trois fois en six ans, dont deux de suite : cette année et l’année dernière, pour trois résultats différents. En 2010, alors qu’il y avait finalement assez peu de kilomètres à parcourir sur les pavés, on avait pourtant assisté à la mise hors jeu du troisième et du quatrième de l’édition précédente de la Grande Boucle : Lance Armstrong, qui avait perdu près de trois minutes en raison d’une crevaison, et Frank Schleck, victime d’une fracture de la clavicule après une mauvaise chute, et qui abandonnait – devant, Andy Schleck et Cadel Evans terminaient dans le premier groupe, réglé par Thor Hushovd, tandis que Menchov, Vinokourov et Wiggins perdaient moins d’une minute, et Contador à peine plus. 2014 avait vu, sous une pluie diluvienne, le maillot jaune Vicenzo Nibali réussir un coup de force impressionnant, en faisant rouler à bloc son équipe, en se montrant supérieur à bon nombre de spécialistes tels que Fabian Cancellara, Peter Sagan ou Sepp Vanmarcke, et en reléguant tous ses adversaires pour la victoire finale à plus de deux minutes au classement général.

Quand les pavés transforment le Tour de France en Paris-Dakar...
Malgré un nombre de secteurs aussi important, cette année, l’écrémage a été nettement moindre : les quatre grands favoris, Froome, Contador, Nibali et Quintana terminant dans le groupe de tête. Néanmoins, il ne s’agit pas de considérer l’étape comme un échec pour les organisateurs. Le responsable du tracé du Tour, Thierry Gouvenou, avait annoncé, l’année dernière, vouloir faire de la célèbre Trouée d’Arenberg, plus illustre secteur pavé de la classique Paris-Roubaix, l’Alpe d’Huez du Nord de la France. Quand on sait que l’ascension vers la célèbre station de ski est la montée la plus prisée de la course au point d’être le théâtre d’une arrivée au sommet tous les deux ans, on peut imaginer que le recours aux pavés a de bonnes chances de devenir quasi systématique, ce qui signifie immanquablement une certaine normalisation. Mais cette normalisation ne sera jamais une banalisation : l’évènement restera craint par de nombreux favoris, et la course, à défaut de s’y gagner, pourra toujours s’y perdre. Deux évolutions seront même vraisemblablement étudiées ces prochaines années : un passage sur les ribinoux, en Bretagne (ces routes de terres où se dispute chaque année le Tro Bro Léon, l’une des courses les plus enthousiasmantes de l’année, et où le cas technique posé par la logistique de la caravane du Tour pourrait poser problème) et la diversification de  l’emploi de secteurs pavés (l’hypothèse d’un tracé qui placerait ce type d’étapes en troisième semaine, par exemple, ou bien en tant que contre-la-montre).


2) Quelques jolis numéros

La première étape, un contre-la-montre individuel de près de quatorze kilomètres, avait donné le ton, avec une victoire de l’Australien Rohann Dennis, auteur de la prestation solitaire la plus rapide de l’Histoire du Tour et classé devant les trois plus grands spécialistes de la discipline que sont Cancellara, Tony Martin et Tom Dumoulin : pour s’imposer sur la moindre étape, il faudrait être extrêmement fort, tant le plateau est relevé cette année sur la Grande Boucle. Ainsi, on a eu le droit à quelques autres victoires pleines de classe : lors de l’arrivée au mur de Huy, Joaquim Rodriguez, en habitué des lieux (il y avait remporté la Flèche Wallonne en 2012) faisait parler son punch et résistait à Froome. Quelques jours plus tard, à Mûr-de-Bretagne, le Français Alexis Vuillermoz a confirmé son potentiel en devançant tous les favoris pour le classement général grâce à une attaque tranchante.

Alexis Vuillermoz en train de faire la nique à tous les favoris.

L’étape des pavés, qui menait les coureurs à Cambrai, a été l’occasion pour Tony Martin de rentrer un peu plus dans l’Histoire du Tour. Triple champion du monde du contre-la-montre, l’Allemand n’a de cesse de prouver, depuis trois ans, qu’il n’est pas qu’un expert de l’exercice chronométré. Auteur d’une chevauchée aussi épique que vaine en 2013 sur le Tour d’Espagne, où il n’avait été repris par les sprinters que vingt mètres avant la ligne d’arrivée, il avait connu une fortune meilleure l’année dernière, en s’imposant brillamment à Mulhouse au terme d’une longue échappée solitaire dans les Vosges. Cette année, c’est en sortant énergiquement du peloton dans le final de l’étape pavée qu’il a réussi à s’imposer, en profitant de l’absence d’équipiers pour les sprinters après les nombreuses cassures qu’il y avait eu plus tôt dans l’étape pour franchir la ligne en vainqueur et ravir le maillot jaune à Christopher Froome.


3) Les chutes

Le bonheur de Martin a été de courte durée. Deux jours plus tard, lors de l’arrivée au Havre, victime d’une chute dans le final, il est victime d’une fracture de la clavicule et doit abandonner. Il n’est pas le premier à avoir tâté le bitume cette année. Les images du spectaculaire carambolage de la troisième étape ont fait le tour de toutes les télés du monde pendant quelques heures. Le Français William Bonnet est tombé le premier, entraînant avec lui une vingtaine de coureurs, déclenchant bien malgré lui l’un des moments les plus déconcertants de la course jusqu’à présent : sa neutralisation pure et simple pendant une bonne vingtaine de minutes, l’ensemble des coureurs mettant en même temps pied à terre à une quarantaine de kilomètres  de l’arrivée, sur décision de la direction du Tour. L’évènement, aussi rarissime que commenté, s’explique par le fait que les dégâts étaient si considérables qu’ils monopolisaient l’ensemble du staff médical de la course, et que celui-ci ne pourrait intervenir si une autre chute venait à survenir.

Tony Martin mal en point.

Cette première chute massive a entraîné l’abandon de plusieurs coureurs de marque, dont le maillot jaune de l’époque, Cancellara, Simon Gerrans ou encore Tom Dumoulin. Tombé lui aussi ce jour-là, l’Australien Michael Matthiews, valeur montante du sprint mondial qui, s’il avait été en pleine possession de ses moyens, aurait fait figure de sérieux outsider sur l’étape du Havre, se traîne douloureusement en queue de peloton, souffrant de tous ses membres épatant de courage. Son compatriote Adam Hansen, l’un des coureurs les plus sympathiques du peloton, continue lui aussi la course sérieusement amoché, décidé à boucler son douzième Grand Tour consécutif, ce qui constituera le record de l’ère moderne du cyclisme.

Parmi les autres victimes de chutes, on trouve le sprinter français Nacer Bouhanni, déjà malheureux il y a quinze jours sur le championnat de France où il s’était retrouvé à terre, le Sud-Africain Daryl Impey qui avait porté le maillot jaune pendant deux jours en 2013, le Suisse Michael Albasini ou encore le néo-Zélandais Jack Bauer, tous contraints à l’abandon. Sans qu’il y ait eu pour eux de réelles conséquences au classement général ni de séquelles physiques importantes, plusieurs favoris ont également eu l’occasion de goûter de près l’asphalte des routes française : Nibali et Quintana ont été entraînés par Tony Martin dans sa chute, et Contador est lui tombé juste avant le départ de la septième étape.

Basso (à droite) annonçant sa maladie, accompagné par son leader Alberto Contador.
Enfin, il est impossible de ne pas mentionner Ivan Basso. Le deuxième du Tour en 2005 (troisième en 2004 et vainqueur du Tour d’Italie en 2006 et 2010), est lui aussi tombé pendant cette première semaine. Sa chute a réveillé une douleur aux testicules, le forçant à passer quelques examens complémentaires qui ont révélé qu’il souffrait d’un cancer. Il a évidemment quitté la course immédiatement pour se soigner chez lui, en Italie. Basso, âgé de trente-sept ans, disputait cette année le Tour en qualité de lieutenant d’Alberto Contador, qui, après avoir appris la nouvelle, a juré, en larmes, de lui ramener le maillot jaune. Le combat que s’apprête à mener l’Italien contre la maladie s’annonce au moins aussi rude, et beaucoup plus risqué. Qu’il guérisse vite.


4) Le retour des affaires de dopage

Depuis 1998 et l’affaire Festina, le Tour de France est immanquablement, ou presque, l’objet d’un regard particulièrement acéré de la part des spécialistes de la lutte antidopage. S’il y avait eu une accalmie en 2013 et 2014 (aucun coureur contrôlé positif sur la course), le fléau a fait sa réapparition cette année. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit de cas très marginaux, et suffisamment flous l’un comme l’autre pour ne pas engendrer une vague massive de soupçons comme en 2006 (opération Puerto menée quatre jours avant le départ, déclassement de Landis) ou en 2007 et 2008 (exclusions successives de Vinoukourov, Rasmussen, Ricco, Schumacher et Kohl). Ces succès dans la lutte contre le dopage ne vont pas sans désagrément, l’entraîneur de la Française des Jeux, Julien Pinot relevant, ironique, que les coureurs de son équipe étaient tirés de leurs chambres pour un contrôle inopiné à onze heures du soir pendant qu’au même moment, l’ensemble des chroniqueurs sportifs s’enthousiasmait à propos de la victoire sous infiltration de Richard Gasquet sur Stan Wawrinka en quarts de finale de Wimbledon (les infiltrations sont interdites en cyclisme).

Le premier cas est celui du Hollandais Lars Boom, qui n’a pas été contrôlé positif mais a quand même été au centre d’une controverse qui a fait couler beaucoup d’encre dans les heures précédant le Grand Départ d’Utrecht. Vainqueur l’année dernière sur l’étape pavée d’Arenberg, il a rejoint cet hiver la sulfureuse équipe Astana, dirigée par Alexandre Vinokourov et au centre d’un certain nombre d’affaires de dopage depuis sa création (Vinokourov lui-même en 2007, Contador en 2010, Kreuziger en 2012, les frères Iglinsky en 2014). Deux jours avant le début de la course, le Mouvement Pour un Cyclisme Crédible, association d’équipes désireuse de combattre le dopage, demandait donc à Astana de ne pas aligner son coureur, dont le taux de cortisol s’était effondré, ce qui ne constitue pas une infraction en soi aux règles antidopage, mais un manquement au règlement intérieur du MPCC, plus sévère que celui de l’AMA. Dans l’incapacité de remplacer Boom, Astana refusait et s’excluait d’office de l’organisme, contribuant à attiser les tensions dans le peloton.

Luca Paolini a une amie blanche et excitante.

Un autre coureur a été au centre de la polémique : l’Italien Luca Paolini. Le coureur de l’équipe russe Katusha, spectaculaire vainqueur, fin mars, du plus beau Gand-Wevelgem de ces vingt dernières années, a été contrôlé positif à une substance très inhabituelle : la cocaïne. L’Italien a été exclu de la course sitôt que le résultat du contrôle a été rendu public, mais il est vraisemblable qu’il n’ait voulu jouer les Tony Montana qu’à titre récréatif, sans volonté d’améliorer ses performances. La sanction devrait donc être assez clémente, même si pour la carrière de Paolini, âgé de trente-huit ans déjà, elle pourrait être synonyme de clap de fin.


5) Froome déjà en jaune

Du côté des quatre Fantastiques, celui qui a produit la plus forte impression n’est autre que Christopher Froome. Déjà vainqueur il y a deux ans, le Britannique possède une avance déjà conséquente sur la plupart de ses rivaux et s’est surtout montré très costaud lors des rendez-vous les plus attendus, terminant deuxième derrière Purito Rodriguez à Huy où il prend pour la première fois le maillot jaune, et se montrant offensif sur l’étape des pavés, là où on l'imaginait plutôt perdre du temps. De plus, la belle prestation de sa formation, la Sky, lors du contre-la-montre par équipe, lui a permis de prendre une avance encore plus confortable sur ses principaux rivaux. Néanmoins, il ne paraît a priori pas non plus aussi imprenable qu’en 2013 : auteur d’un temps moyen sur le contre-la-montre d’Utrecht, il n’a pas été capable de répondre à l’attaque de Vuillermoz à Mûr-de-Bretagne.

Froome et la Sky lors du contre-la-montre par équipes. Une belle brochette de robots.
Derrière lui, Contador, à un peu plus d’une minute, est le mieux classé des trois autres Fantastiques. L’Espagnol, en quête de doublé après avoir déjà remporté le Tour d’Italie en mai, n’a pas été impérial, mais s’en sort correctement. Sa capacité à récupérer après les efforts effectués sur le Giro reste une grande interrogation : va-t-il monter en puissance au fur et à mesure de la course, ou au contraire s’éteindre peu à peu ? Encore plus loin, Nairo Quintana limite mieux les dégâts que Nibali : le Colombien est à deux minutes avant d’aborder la haute montagne, son terrain de prédilection, tandis que le Sicilien de l’équipe Astana, très attendu sur cette première semaine qu’on pensait taillée sur mesure pour lui permettre de creuser un bel avantage sur ses concurrents, a joué de malchance à plusieurs reprises. Victime des bordures en Zélande, il a échoué à semer les autres Fantastiques sur les pavés et a chuté au Havre avant de concéder quelques secondes aux autres Fantastiques à Mûr-de-Bretagne puis de voir sa formation réaliser une performance décevante lors du contre-la-montre par équipe.

Parmi les outsiders, Tejay Van Garderen, calé en deuxième position du classement général derrière Froome, et deuxième du dernier Dauphiné, ce qui est toujours un gage de bonne forme, est celui qui s’en tire le mieux, tandis que Purito Rodriguez, pourtant vainqueur à Huy, est déjà à presque quatre minutes, et que Thibaut Pinot, extrêmement malchanceux, a perdu tout espoir de podium. Le meilleur Français, Tony Gallopin, est onzième à deux minutes et une seconde de Froome, Barguil, Péraud, Bardet et Rolland sont loin derrière. Mais la montagne arrive dès demain, et pourrait tout remettre en question.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire