mercredi 24 juin 2015

La Loi de Murphy 2 : Mort d'une starlette



Brittany Murphy, pas certaine que la vie en vaille la peine.



Le corps de Brittany Murphy a été retrouvé inanimé par sa mère dans sa salle de bain, au matin du 20 décembre 2009. Conduite immédiatement aux urgences, l’actrice y est morte deux heures plus tard, sans qu’il ait été possible de la ranimer. Si la nouvelle de son décès, rapidement rendue publique, a provoqué une émotion sincère à Hollywood, elle n’a pas surpris outre-mesure les commentateurs, tant d’une part l’actrice semblait artistiquement morte depuis plusieurs années, et tant, d’autre part, les rumeurs d’addiction à la cocaïne, de dépression et d’anorexie allaient bon train depuis plusieurs années déjà.

Brittany Murphy vivait avec sa mère et son époux dans une luxueuse propriété de Los Angeles qu’elle avait rachetée à Britney Spears quelques années auparavant. C’est là, dans un ménage à trois forcément malsain, qu’elle a passé ses derniers mois. D’un côté, Sharon Murphy, sa mère, qui l’a élevée seule (le papa, Angelo Bertolotti, ayant passé l’entièreté de l’enfance de sa fille derrière les barreaux), qui a tout accepté pour que sa fille puisse faire carrière, quittant avec elle New York pour Los Angeles au début des années 90 pour favoriser son éclosion. De  l’autre, Simon Monjack, son mari, escroc à la petite semaine et scénariste raté, dans lequel Brittany, en bonne sous-Marilyn qu’elle était, a sûrement vu le parfait sous-Arthur Miller pour lui écrire, guidé par l'amour, ses plus grands rôles.

Car s’il y a un soupçon de Norma Jean Baker dans la carrière de Brittany Murphy (son talent comique, son hypersensualité), il y a des tonnes et des tonnes de Marilyn Monroe dans sa mort. Cinq ans et demi plus tard, les causes n’en sont toujours pas claires, et petit à petit, on se résigne à ce qu’elles ne le soient jamais. Le rapport d’autopsie, publié deux jours après le décès, évoque une pneumonie, une anémie et un abus de médicaments, coupant court aux rumeurs d’overdose. Il se murmure également que si elle avait été conduite ne serait-ce que vingt-quatre heures plus tôt à l’hôpital, elle aurait pu être sauvée, mais sa peur des paparazzis (par lesquels elle s’estimait harcelée) et la volonté de son entourage (en l’occurrence sa mère) de ne pas la contrarier, auraient empêché ce salutaire transfert d’avoir lieu.

Toutes les spéculations restaient donc ouvertes jusqu’à ce que, six mois plus tard, éclate un nouveau coup de théâtre : le veuf de Brittany, Simon Monjack, était à son tour retrouvé mort, dans la même salle de bain, et apparemment des mêmes causes (pneumonie, anémie, surconsommation de médicaments). Une nouvelle enquête permit alors d’ajouter une hypothèse supplémentaire à ces décès : la forte présence de moisissures (eh oui...) dans la maison des Murphy-Monjack, qui auraient intoxiqué le couple jusqu’à s’avérer fatales.


La stèle de la défunte.

D’autres possibilités, plus farfelues (quoique…) circulent, et parmi elles, celles d’un double assassinat politique. Bien qu’on ne lui ait connu, contrairement à Marilyn, aucune accointance avec le pouvoir, ni qu’elle se soit jamais publiquement livrée à des activités de dissidences, Brittany et son mari vivaient depuis de longs mois, semble-t-il, dans la peur constante d’être surveillés par les services secrets américains. En cause : le soutien qu’ils avaient affiché aux lanceurs d’alertes (Wikileaks en était alors à ses balbutiements).

En 2013, nouveau rebondissement : le père de Brittany, Angelo Bertolotti, rend publics les résultats d’une enquête indépendante qu’il a lui-même commandée après avoir dû batailler pour obtenir des cheveux, des tissus et du sang de sa fille. Les conclusions du laboratoire (auquel il a été demandé de rechercher également les métaux lourds et les toxines, ce que n’avaient pas fait les services de médecine légale de Los Angeles) sont lourdes : exposition à des métaux lourds à des niveaux largement supérieurs à ceux recommandés par l’OMS, vraisemblablement administrée par un tiers et avec une intention criminelle probable. En d’autres termes, empoisonnement à la mort-aux-rats ou à l’insecticide, ce que semblent accréditer les symptômes ressentis par l’actrice et son mari durant les mois qui ont précédé sa mort, à savoir étourdissements, crampes, toux, pneumonie, tachycardie, tremblements, problèmes intestinaux, cutanés, neurologiques et respiratoires.

Sans la désigner ouvertement, Angelo Bertolotti met ainsi en cause son ex-femme, Sharon Murphy. Qui d’autre vivait aux côtés du couple ? Qui d’autre aurait pu les empoisonner doucement, à petit feu ? Evidemment, celle-ci fait tout pour discréditer les conclusions de l’enquête, et de façon tout aussi prévisible, l’affaire tourne à un écharpement des parents par médias interposés, spectacle aussi inévitable que pathétique, le père accusant la mère d’avoir vendu au prix fort tous les biens de sa fille, jusqu’à son passeport, et celle-ci répliquant en pointant du doigt la place toute relative que Bertolotti occupait dans la vie de Brittany et suspectant à haute voix une envie de gloriole facile chez son ancien compagnon.


L'affiche de Deadline, l'un de ses derniers films.



Mais derrière la possible solution criminelle, il y a les derniers jours de l’actrice, recluse dans sa maison qu’elle venait de faire équiper du même système de sécurité que les agences bancaires américaines, virée quelques semaines plus tôt du tournage d’un film car apparemment devenue ingérable, bannie de la pharmacie la plus proche de chez elle car y achetant parfois jusqu’à trente-deux médicaments différents, évincée du film Happy Feet 2 alors que sa prestation dans le premier avait été justement saluée… Il y a aussi ses derniers films, tristement prémonitoires. En 2007, The Dead Girl (en français : La Morte), dans lequel elle interprète évidemment le rôle-titre, celui de Krista, une jeune femme retrouvée morte et dont il faut attendre la fin du film pour connaître les circonstances du décès. En 2009, quelques mois avant sa mort, Deadline (Dernier délai), dont l’affiche la présente, hébétée, dans une baignoire, comme une vision de sa triste fin - même si, contrairement à ce qu'ont annoncé plusieurs médias français de façon erronée, c'est dans sa salle de bain et non dans sa baignoire que Brittany a été retrouvée, une erreur de traduction étant vraisemblablement en cause, bathroom ayant été confondu avec bathtub.

Une autre prémonition, plus ancienne, fait elle aussi surface : le choix de l’actrice, dès le début des années 90, de faire carrière sous le nom de sa mère, Murphy, plutôt que sous son véritable nom à elle, Brittany Anne Bertolotti. Murphy, comme la célèbre loi de Murphy qui stipule que « tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal », ou, en d’autres termes, que « s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose, et qu’au moins l’une de ceux deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie ».  Cette loi, que l’on doit à l’ingénieur en aérospatiale Edward Aloysius Murphy Jr (aucun lien), a entraîné un dérivé célèbre, celui de la tartine beurrée, qui stipule qu’une tartine beurrée chutant à terre tombera systématiquement du côté beurré. En choisissant de s’appeler Brittany Murphy, l’apprentie comédienne prenait un risque inconsidéré : s’il y a au moins deux façons de conduire sa carrière et qu’au moins l’une de ces deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie, c’est-à-dire que tout ce qui est susceptible de faire rater une carrière avant d’entraîner la mort fera rater la carrière et entraînera la mort. Se placer délibérément sous cette épée de Damoclès n'était pas forcément l'idée la plus brillante que puisse avoir une actrice débutante.


Encore vivante et déjà la corde au cou...



Encore derrière ces signes avant-coureurs et autres superstitions, il y a surtout le gigantesque suicide professionnel qu’a constitué sa carrière post-2006 (c’est-à-dire, curieusement, depuis sa rencontre avec Simon Monjack, qui l’aurait beaucoup entretenue dans un repli sur elle-même et une crainte du monde extérieur injustifiés). Et il y a son naturel, de fille drôle, blagueuse, souvent légère et un peu dilettante, de fille qui ne se prenait pas au sérieux, de fille qui n’avait finalement pas tant que ça confiance en elle. De fille pour qui, tout compte fait, Hollywood n’était pas vraiment l'endroit idéal. Il paraît que quelques jours avant sa disparition, Brittany avait formulé le vœu de quitter Los Angeles pour revenir à New York, la ville dans laquelle elle avait passé son enfance, et d’arrêter le cinéma pour faire du théâtre. Cinq ans après, je me dis que ce n’était pas forcément une mauvaise idée – en revanche, ça venait indéniablement un peu tard. 



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dimanche 21 juin 2015

La Loi de Murphy 1 : Brittany et moi


La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article.

Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était (Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos promotionnelles du film 8 Mile, vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que je ne parviens pas bien à expliquer.

Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun film, ma réponse aux questions « quelle est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a invariablement été « Brittany Murphy ».

Un an plus tard, j’ai vu 8 Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis encore The Dead Girl, et j’ai alors pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse, prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie que dans le drame.

Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa  jeune carrière semblant en plein essor, les photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus détournements, également appelés captions sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews, conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog, assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.

La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood.
J’ai suivi sa carrière avec davantage d’attention que celle d’aucun autre comédien avant elle. Long chemin de croix. Car oui, le fait est dur, brutal même, cruel enfin : Brittany Murphy a raté sa carrière. La faute à pas de chance, à la poisse, au destin, à ce qu’on veut : en trouvant peu de rôles à la hauteur de son talent, en ne tournant que dans une minuscule poignée de films destinés à traverser les époques (et dans lesquels elle en était souvent réduite à jouer les utilités), elle est patiemment, méthodiquement, même, passée à côté de sa carrière. Le plus grand réalisateur avec lequel elle ait collaboré est George Miller (auquel on doit, entre autres, la série des Babe et celle des Mad Max), mais c’était pour Happy Feet, un film d’animation dans lequel elle se cantonne au doublage d’un manchot empereur – on a vu meilleur passeport pour la gloire. Elle a certes donné la réplique à des comédiens de l’envergure de Christopher Walken, Reese Witherspoon, Angelina Jolie ou Benicio Del Toro, mais ce fut toujours pour se retrouver en retrait, loin du haut de l’affiche, et dans des films qui sont loin de compter parmi les plus hauts faits des carrières des intéressés.

En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine, sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.

Le succès, en 2005, de Sin City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse machine hollywoodienne (on parla des Expendables de Stallone, d’un des Batman de Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était pas tout bonnement supprimé du scénario.

Sous influence nippone.
Tout ce petit manège se poursuivit jusqu’en décembre 2009, où la nouvelle tomba, inattendue mais si terriblement prévisible : Brittany Murphy était morte, à l’âge de trente-deux ans, dans des conditions sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Et c’est ainsi que l’actrice américaine la plus talentueuse de sa génération (j’insiste) disparut, sans avoir eu le quart de la carrière que ses qualités méritaient ni avoir eu de réelle occasion de démontrer sa valeur dans un rôle à sa mesure, se contentant de bout en bout d’un statut de starlette de seconde zone, généralement considérée avec bienveillance (car les vidéos de ses interviews montrent une jeune femme délurée, souvent drôle, toujours ravissante : le stéréotype de la bonne cliente) mais avec la pointe de mépris que l’on réserve à celles et ceux qui ont, finalement, raté leur vie, et qui, dès lors, ne représentant plus aucune menace pour qui que ce soit.

A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie), un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de faux (« comment voulez-vous que je prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »), une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours, a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.

Au mur de ma chambre.

L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice préférée, et de la plus belle fille du monde.



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mardi 16 juin 2015

L'Hiver est là...

Cersei Lannister, la plus charismatique, la plus belle, la plus méchante, la plus amoureuse, la plus reine, la plus tout.


Quatre ans déjà ont passé depuis que la première saison de Game of Thrones a achevé de ringardiser la pathétique adaptation ciné du Seigneur des Anneaux et montré au monde entier que la transposition à l’écran d’un univers de fantasy pouvait se faire sans héroïsme pompier, sans manichéisme imbécile ni omniprésence des effets spéciaux. Alors que les quatre premières saisons ont continuellement battu des records d’audiences tout en s’attirant les louanges de la critique, la cinquième, dont la diffusion vient de prendre fin, a été globalement considérée comme décevante. Pourtant, jamais le show vedette de la chaîne HBO ne s’était montré si ambitieux que cette année – et jamais il n’avait été si cohérent avec ce qui avait fait sa renommée.

Adapté du cycle de romans (toujours inachevé) de George R. R. Martin, l’univers de Game of Thrones est celui d’un continent imaginaire, Westeros, à une époque qui ressemble, de façon assez fidèle à notre Moyen-Âge (armure, chevaux, mariages arrangés, famines…) tout en y incorporant divers éléments de fantastique (magie, voyance, dragons…). Ce qui a fait le succès des livres de Martin, c’est d’abord l’idée inspirée de mettre en avant les luttes de pouvoir qui agitent Westeros, entre les différentes familles influentes (le continent est ainsi surnommé "les Sept Couronnes" d'après les sept provinces qui le composent : le Nord, le Val d'Arryn, le Conflans, les Terres de l'Orage, les Terres de l'Ouest, le Bief et la principauté de Dorne, respectivement dirigés, au départ de la saga, par les familles Stark, Arryn, Tully, Barathéon, Lannister, Tyrell et Martell). C’est ensuite la grande parcimonie avec laquelle il a utilisé le surnaturel : ainsi, les dragons sont présentés comme éteints depuis plusieurs siècles, et l’éclosion de trois œufs apparaît, dès lors, comme un petit miracle ; de la même façon, plus personne ne croit en l’existence, au Nord de Westeros, des créatures moitiés mortes, moitiés vivantes à cause desquelles une muraille gigantesque, le Mur (protégé par la Garde de Nuit), a été érigée plusieurs millénaires auparavant. Dans la lignée de cet univers finalement assez réaliste (la seule différence tangible avec notre Moyen-Âge concerne le cycle des saisons : ainsi, il n'y a ni printemps, ni automne, et hiver comme été peuvent durer plusieurs années), les personnages, pour la plupart remarquablement bien brossés, ont tous une réelle épaisseur, obéissant à des motivations parfois complexes, ce qui permet à l’œuvre de s’affranchir de l’écueil du manichéisme. Enfin, le sadisme de Martin, qui n’hésite pas à tuer ses héros (nombreux) au moment où le lecteur s’y attend le moins, a été un autre détonateur de l’engouement assez impressionnant qu’ont généré ses romans depuis la sortie du premier tome, en 1996, et qui a débouché sur leur adaptation par la chaîne américaine HBO, depuis 2011, sous forme d’une série télévisée adoptant le format de dix épisodes de 52 minutes par saison.

L’intrigue prend donc place sur le continent de Westeros (et s’autorise quelques incursions sur celui d’Essos, situé de l’autre côté du détroit). Trois cent ans avant l’action, la famille Targaryen, venue d’Essos, a conquis Westeros grâce à ses dragons, et son leader, Aegon, s'est forgé avec les épées des rois et seigneurs qu'il avait défait un trône monumental : le Trône de Fer. Cet évènement est appelé la Conquête, et fait figure de point de départ du calendrier westerien. En 283, alors que les dragons ont disparu depuis plus d’un siècle, éclate une rébellion. Aerys II dit le Roi Fou, le dernier souverain Targaryen, est déposé, et Robert Baratheon, grand instigateur du soulèvement, prend place sur le Trône de Fer. L’action du roman comme celle de la série débutent en 298, alors que Robert règne depuis quinze ans, et l’élément déclencheur en est la mort de son chancelier Jon Arryn (si la fonction est bien celle d’un chancelier, le titre exact, dans l’univers créé par George Martin, est celui de Main du Roi), puis celle du roi Robert en personne, quelques mois plus tard. Evidemment, ces deux morts sont suspectes, et ne sont que les premières d’une longue série d’assassinats et de trahisons. Evidemment encore, va débuter, le jour même de la mort de Robert Barathéon, une guerre de succession complexe, où les alliances se feront et se déferont de façon incessante, tandis qu'après un été qui a duré une dizaine d'années se profile l'hiver le plus froid qu'on ait connu depuis des siècles.

Les échiquiers ressemblent à ça, à Westeros, et le dragon est la seule pièce qui peut voler et carboniser toutes les autres.

Je ne reviendrai pas en détail sur le contenu des quatre premières saisons, tant les rebondissements y sont nombreux (et vraisemblablement déjà connus de quiconque aura eu la patience de s’aventurer aussi loin dans la lecture de cet article) et les personnages tellement nombreux qu’il serait impossible de les lister tous sans faire un inventaire plus rébarbatif que réellement instructif. Je me bornerai à souligner ce qui a fait le succès de la série télévisée : outre les éléments déjà présents dans les romans (et déjà mentionnés plus haut), le soin minutieux apporté aux décors et aux costumes créent un réalisme remarquable, tandis que la qualité de l’interprétation de la plupart des acteurs permet de donner une vie réelle aux différents personnages. De plus, le travail effectué par les scénaristes permet de s’y retrouver très vite, parmi les myriades de personnages et de lieux présents d’un bout à l’autre de l’intrigue.

Deux enjeux assez énormes pesaient sur cette cinquième saison. Premièrement, le devoir, pour les scénaristes David Benioff et D. B. Weiss, de poursuivre leur récit sans décevoir les millions de fans acquis par la série depuis 2011, c’est-à-dire d’aller toujours plus loin sans toutefois aller trop loin. Deuxièmement, le dépassement des romans par la série : en effet, Martin n’a toujours pas terminé sa saga, et la série se tournant plus vite que lui n’écrit, elle est arrivée, pour certains des pans de son intrigue, au même point que les livres dès la fin de la saison 4. Weiss et Benioff ayant prévu ce risque dès le lancement du show, ils avaient eu, avant de débuter l’aventure, une discussion avec Martin, et celui-ci leur avait confié, en quelques phrases, comment il comptait conclure, mais il ne leur avait pas révélé le chemin qu’il envisageait pour y arriver (vraisemblablement d’une part pour conserver une part de mystère et d’autre part parce que quiconque a déjà écrit ne serait-ce qu’une ligne sait qu’entre les plans qu’on dresse avant de se mettre au travail et ce qui sort finalement de la plume, il y a toujours une marge, qui peut parfois même être assez importante).

Ce dépassement des romans par la série a provoqué un bouleversement majeur vis-à-vis du rapport que le public entretenait avec elle. En effet, si, durant les premières saisons, les lecteurs de la saga avaient un avantage certain par rapport à ceux qui en découvraient la trame à l’écran, pouvant prévoir les différentes péripéties et menacer de révéler la suite de l’histoire, à présent, c’est au tour de la série de prendre de l’avance sur les livres, et à ses spectateurs de découvrir, avant les lecteurs, les différents rebondissements. Certes, comme dit précédemment, le détail des aventures n’est pas forcément conforme de manière exacte à ce qui surviendra dans les romans, mais les grandes lignes, elles, sont là. Et la crainte du spoiler (cette révélation intempestive d’un élément clé de l’intrigue, du style "Bruce Willis était mort depuis le début") a changé de camp. Par conséquent, de nombreux fans du cycle romanesque ont préféré abandonner le visionnage du show cette saison - d'autres ne s'y sont jamais intéressé, ou n'ont jamais accroché.

Les téléspectateurs qui ne s'attendaient pas à la mort de Jon Snow.

Sur le contenu en lui-même de cette cinquième saison, que dire ? Beaucoup. Par où commencer ? Peut-être par la capitale de Westeros, Port-Réal. Là où d’autres lieux étaient le théâtre d’enjeux plus basiques (la guerre, la survie), Port-Réal a toujours été, dans Game of Thrones, le terrain essentiel des luttes d’influences, de pouvoir. Logiquement, c’est là qu'on a longtemps trouvé la plus importante concentration de personnages centraux. Ainsi, au début de la quatrième saison, on y retrouvait le roi Joffrey Barathéon, son jeune frère Tommen, la plupart des membres de la famille Lannister, l’essentiel de la famille Tyrell, la jeune Sansa Stark ainsi que bon nombre de courtisans et intriguants (Varys, Pycelle, Qyburn) ou d’hommes de mains et de militaires (Meryn Trant, Bronn, Brienne de Torth), sans parler des prostitués de tous sexes (Shae, Olyvar), bouffons (Dontos), écuyers (Podrick Payne) et autres visiteurs (le prince Oberyn Martell).

La saison 5 prend le parti de la désertification de Port-Réal. L’infâme roi Joffrey est mort - son grand-père, le redoutable Tywin Lannister, également. Son oncle Tyrion est en fuite, tout comme Sansa Stark, son éphémère épouse, ainsi que Lord Varys. Brienne de Torth est repartie sur les routes de Westeros, accompagnée de Podrick Payne, tandis qu’Oberyn Martell, Shae et Dontos ont échoué à survivre à la saison 4, et dès le début de cette nouvelle saison, Jaime Lannister et Bronn quittent Port-Réal pour accomplir une mission dans la principauté de Dorne. La lutte de pouvoir se concentre désormais sur l’affrontement de deux camps, les Lannister et les Tyrell, c’est-à-dire sur celui de deux femmes : la reine régente Cersei Lannister, mère du roi Tommen, et la fiancée de ce dernier, Margaery Tyrell. Les deux familles étant supposées alliées, cet affrontement se limite dans un premier temps aux coulisses, Cersei comme Margaery tentant d’influencer Tommen, jeune homme au cœur bon, mais naïf et inexpérimenté. Dans la droite lignée de ses scènes-chocs, la saison propose même lors de son troisième épisode une séquence pédophile, avec la nuit de noces de Tommen et Margaery, qui voit une accorte jeune femme d’environ vingt-cinq ans dépuceler un adolescent à peine pubère (de façon assez inattendue, la scène n’a pas provoqué un grand émoi parmi les pourfendeurs de Game of Thrones, d’ordinaire si prompts à dénoncer le moindre écart politiquement incorrect de la série).

Personnage le plus charismatique de l’intrigue de la capitale, Cersei Lannister est logiquement au centre des débats. La reine-mère, manipulatrice, alcoolique et incestueuse (ses trois enfants, Joffrey, Tommen et Myrcella, sont le fruit d’une relation avec son frère jumeau Jaime, et c’est la rumeur de cette bâtardise qui est à l’origine de la guerre de succession qui agite Westeros depuis le début de l’intrigue), se voit dans un premier temps ringardisée par la jeune Margaery, à laquelle Tommen ne peut résister. Mais très vite, elle organise sa revanche, et c’est l’occasion, pour la série, de faire intervenir pour la première fois de façon concrète la religion. On avait bien eu, jusqu’à présent, la présentation de quelques fanatiques, essentiellement dans le camp de Stannis Barathéon, des adorateurs du Maître de la Lumière menés d’une main de fer par la grande prêtresse Mélisandre. On se souvient aussi du regretté Ned Stark se recueillant, au début de la première saison, devant un barral, ces grands arbres aux feuilles rouges et au tronc orné d’un visage sculpté. Mais à Port-Réal, rien du tout, hormis la présence occasionnelle d’un prêtre, en arrière-plan, généralement pour célébrer un mariage – on en était venu à se demander qui, dans les Sept Couronnes, pouvait bien croire encore à ces dieux de pacotille.

Le Roi Tommen, très loin d'avoir la carrure.

La saison 5 innove donc (se calquant en cela la trame des romans), en nous montrant l’ascension d’un nouveau groupe de fanatiques, les Moineaux. Ceux-ci ne se veulent pas les messagers d’une nouvelle croyance, mais les adeptes d’une application extrêmement rigoriste de la religion polythéiste officielle. Porteurs, pour la plupart, d’une marque apposée au fer rouge sur leur front, allant nu-pieds, ils prêchent un mode de vie humble et spartiate, mais intransigeant en matière de bonnes mœurs, réprimant l’adultère, la prostitution et l’homosexualité, et n’hésitant pas à user de manières plus que brutales lors de leurs expéditions punitives. Voyant dans l’émergence de ce nouveau courant l’occasion d’affaiblir la famille Tyrell, Cersei tente de se rapprocher du leader du mouvement, l’autoproclamé Grand Moineau (interprété par le toujours excellent Jonathan Pryce) et l’influence pour provoquer l’arrestation de Loras Tyrell, pour homosexualité, puis par ricochet celle de Margaery, coupable de parjure dans sa défense de son frère.

C’est alors qu’on se souvient de l’échange, lors de la deuxième saison, de Cersei et de son frère Tyrion (elle : « you know that you’re not half as clever as you think », lui : « that still makes me twice as clever as you »), et qu’on se dit qu’à trop jouer avec le feu, comme elle le fait depuis quatre saisons et demi, Cersei va bien finir par se brûler. Et forcément, ça ne tarde pas : ayant fricoté, autrefois, avec l’un des Moineaux (avant que celui n’épouse la Foi), elle est rattrapée par son passé, et à son tour emprisonnée. Pour la première fois, Cersei, cette reine folle et furieuse qui tenait à la fois d’Agrippine, de Catherine de Médicis et de Lady Macbeth, ce personnage qu’on adorait haïr sans pouvoir s’empêcher de l’admirer, se retrouve en situation d’absolue vulnérabilité, jetée dans un cachot, réduite à lécher le sol pour s’abreuver. Son frère et amant Jaime est en mission à Dorne, son père Tywin n’a pas survécu à la saison 4 et son fils, le roi Tommen, est trop faible pour intervenir (sa bâtardise lui est brandie à la figure lorsqu’il tente d’approcher les Moineaux dans une scène glaçante qui met en évidence son innocence, son irénisme et sa mollesse), Cersei est seule, sans personne pour la tirer d’affaire, et à son affaiblissement succède vite un déshonneur public : la reine régente est contrainte par le Grand Moineau à une déambulation nue, cheveux coupés, dans les rues de Port-Réal, pour expier ses péchés et par là-même les reconnaître, sous la bronca de la foule, dans ce qui constitue l’une des scènes les plus marquantes de l’épisode final. Cette séquence, monstrueusement longue (sept minutes) réussit le tour de force de renverser totalement le jugement du spectateur envers Cersei Lannister : alors que ses manigances l'avaient rendue aussi détestée que redoutée, alors même qu'elle vient de mentir une fois de plus en confessant avoir eu de les relations sexuelles avec un jeune homme tout en niant avoir eu des rapports incestueux avec son frère Jaimie, son humiliation créé un sentiment d'empathie que l'on avait pas ressenti pour elle depuis la fin de la saison 2.

Cette déchéance de Cersei, une fois de plus magnifiquement servie par son interprète, Lena Headey, incroyable de dignité durant la scène de l’expiation, vient encore un peu plus acter la chute de la famille Lannister, qui a longtemps semblé mener les débats avant de sombrer dans les divisions avec la condamnation à mort du fils cadet Tyrion par son père Tywin au cours de la saison 4, son évasion et sa fuite, l’assassinat de Tywin, patriarche tout-puissant du clan, par ce même Tyrion juste avant son exil forcé, la mort du roi Joffrey et surtout, l’épuisement des mines d’or auxquelles ils devaient leur légendaire fortune. Longtemps invulnérable malgré le comportement d’enfoirés notoires de la plupart de ses membres, la maison Lannister apparaît désormais en sursis. Et le seul de ses membres qui n’ait pas la tête au fond de l’eau semble longtemps être Jaimie le beau gosse.

Parmi la multitude de personnages a priori antipathiques de la série, Jaimie Lannister, le frère jumeau de Cersei, est en effet le seul (pour l’instant) à se voir offrir une sorte de rédemption. Alors que le tout premier épisode de la saison nous le montrait insolent, présomptueux, forniquant avec sa sœur et n’hésitant pas à assassiner un enfant, alors que la suite nous l’avait montré manipulateur, misogyne, méprisant et qu’on avait vite appris que c’est lui qui, bien que membre de la Garde Royale, avait assassiné le Roi Fou Aerys Targaryen (mettant ainsi fin à la guerre et permettant l’accession au trône de Robert Barathéon) et ainsi gagné le surnom de Régicide, il avait ensuite vécu la pénitence d’une saison entière passée en tant que prisonnier des Stark, puis avait passé la suivante à apprendre l’humilité aux côtés de Brienne de Tarth, une femme au physique de colosse au moins aussi douée que lui pour le maniement des armes. Sanction ultime, il s’était surtout fait trancher la main droite par un obscur homme de main, se retrouvant ainsi inapte à l’escrime, lui qui passait pour l’une des plus fines lames des Sept Couronnes.

Dans cette nouvelle saison, les scénaristes ont pris la liberté de l’envoyer dans la principauté de Dorne, à l’extrême Sud de Westeros, en compagnie du mercenaire Bronn, l’ex bras droit de son petit frère Tyrion, dans le but d’aller sauver et/ou enlever Myrcella, la fille qu’il a eu avec Cersei – et qui passe, depuis le début, pour la fille de feu Robert Barathéon. Soyons honnête : cette escapade dornienne n’est pas la meilleure idée qu’aient eue Weiss et Benioff depuis le lancement du show. Face à Bronn et Jaimie, on retrouve trois jeunes amazones qui semblent tout droit sortir de scènes coupées de Xena la Guerrière : costumes cheaps, répliques bâclées, interprétation affligeante et érotisme bon marché, les scènes flirtent avec les limites du ridicule, et il faut attendre l’épisode 9 et l’intervention du Prince de Dorne, Doran Martell (le frère d’Oberyn, celui qui s’était fait littéralement exploser la gueule en saison 4) pour qu’on retrouve un brin de crédibilité et de sérieux, dans ce qui demeure le plus mauvais segment de l’histoire de la série – heureusement, les scènes sont à la fois courtes et peu nombreuses, ce qui permet d’éviter un naufrage total. Le dénouement est aussi limpide que cruel, et a la saveur amère d'un désenchantement inattendu : alors que Jaimie est dans un navire en route vers Port-Réal, où il ramène Myrcella, une scène assez touchante le montre se faisant reconnaître de sa fille, laquelle meurt dans ses bras quelques instants plus tard, empoisonnée. Et le flash-back inaugural de cette saison 5 de résonner à nouveau : les trois enfants de Cersei (et donc de Jaimie) sont voués à mourir avant leur mère. Joffrey l’année dernière, Myrcella lors de ce dernier season final, il ne reste déjà plus que Tommen, le benjamin de la fratrie - et déjà roi. Pour combien de temps ?

Tyrion Lannister, Daenerys Targaryen et de l'alcool.

Quant au petit frère de Jaimie et Cersei Lannister, le nain Tyrion, chouchou des téléspectateurs et vedette numéro 1 de la série, que l’on avait quitté, à la fin de la saison 4, caché dans une caisse en bois embarquée sur un bateau à destination d’Essos, on le retrouve d’abord aussi cynique et ivrogne que par le passé. Toujours aussi magistralement interprété par Peter Dinklage (une putain de rock star, celui-là, quand même), il se retrouve d’abord associé à l’eunuque Varys, ancien Maître des Chuchoteurs de Port-Réal (poste qui correspond peu ou prou, à celui de chef des RG en France), qui le convainc de se rallier à Daenerys Targaryen. Cette dernière, autre coqueluche des fans, n’est autre que l’héritière en exil de la dynastie Targaryen. Forcée de quitter Westeros alors qu’elle n’était qu’une enfant suite à la prise de pouvoir de Robert Barathéon, elle attend son heure, sur Essos, mais dispose d’arguments de choix : elle possède les seuls dragons qui existent au monde, les premiers qu’on ait vus depuis plus d’un siècle. Problème : si ces bestioles lui ont permis, dans un premier temps, de s’attacher les services de divers mercenaires, et ainsi, de s’emparer de la cité de Meeren, elles ont désormais bien grandi et se retrouvent à présent totalement out of control, forçant la jeune reine à les enfermer. Daenerys, surnommée la Khaleesi, tente depuis un peu plus d’une saison de régner sur Meeren, mais il semble que la realpolitik ne soit pas son fort et la grogne prend de l’ampleur, les anciens maîtres de la Cité ayant (c’était prévisible) mal pris qu’elle abolisse l’esclavage dès son entrée dans la ville et organisant des sortes d’opérations terroristes, multipliant les scènes de guérilla urbaine.

Au cours du septième épisode de cette cinquième saison, les scénaristes réalisent le fantasme de nombreux fans en réunissant Tyrion et Daenerys, soit deux des personnages les plus populaires du show – audace ultime s’il en est, étant donné que la réunion dans une même intrigue de deux des figures préférées du public peut entraîner ou une déception des fans, ou un désintérêt du public pour le reste de la série, audace encore puisque cette rencontre n’a pas encore eu lieu dans le cycle romanesque. Evidemment, cette rencontre arrive au moment où l’un comme l’autre en a le plus besoin : Tyrion, d’abord aux côtés de Varys, a été kidnappé par le chevalier Jorah Mormont (dont il serait trop long de rappeler ici l’histoire) avant d’être capturé par un marchand d’esclaves puis vendu comme gladiateur – autant dire que compte tenu de son gabarit (l’acteur Peter Dinklage mesure 1m35), on ne donne pas cher de sa peau en cas de combat. De son côté, comme dit plus haut, Daenerys doit faire face à la défiance des habitants de Meeren : des anciens maîtres, réunis au sein de la conjuration des Fils de la Harpie, mais aussi des anciens esclaves, qui ne lui ont pas pardonné l’exécution de l’un des leurs, et pour ne rien arranger, elle a perdu un par un ses plus fidèles conseillers et bras armés, avec le renvoi de son plus fidèle serviteur Jorah Mormont (à la fin de la saison 4), l’assassinat de son conseiller Barristan Selmy (épisode 4) et la sérieuse blessure dont est victime Ver Gris, le chef de son armée de mercenaires (épisode 4 également).
  
Une fois Daenerys et Tyrion réunis, le bagoût du Lutin ne tarde pas à convaincre la jeune souveraine de l’embaucher comme conseiller. Le talent de Tyrion Lannister pour la politique est connu de tous depuis qu’il avait officié en tant que Main du Roi intérimaire lors de la saison 2, et on se dit qu’un allié de cette trempe ne sera pas de trop pour Daenerys pour reprendre la main sur Meeren (mais il se peut qu’Emilia Clarke, qui l’interprète, ait encore plus besoin de Peter Dinklage que Daenerys de Tyrion, histoire de donner du relief à ses scènes, qui avaient souvent semblé poussives lors de la saison précédente). La force de la série, dans le traitement de cette intrigue, est de croire suffisamment en ses personnages pour que l’ensemble des rebondissements paraisse crédible, du périple du nain pour rejoindre la reine (dans des décors, comme souvent, époustouflants) à la solitude de celle-ci, progressivement acculée par ses erreurs et par la malchance et contrainte de renier certains de ses engagements les plus forts, comme la fermeture des arènes. Offrant un final épique à l’épisode 9, avec la tentative de putsch des Fils de la Harpie en plein combat de gladiateurs dans le cadre somptueux de l’arène de Meeren, le retour en grâce d’un Jorah Mormont autrefois répudié (qui, belle idée scénaristique, est condamné à moyen terme par une maladie curieuse, la léprose, reprenant en cela la trame de Jon Connington, un personnage des romans qui a été évincé de l’adaptation télévisée pour éviter la surcharge de personnages) et l’arrivée de l’un des dragons qui met en déroute les conjurés pour sauver la mise à Daenerys et à sa cour avant de s’envoler, la reine sur son dos, l’intrigue ose séparer (temporairement ?), deux épisodes seulement après leur rencontre, deux héros qu’elle avait mis quatre saisons et demie à faire se rencontrer.

Cette séquence dans l'arène est également l'occasion pour la série de faire (enfin) intervenir de façon active les dragons - un seul, en l'occurence. Les effets spéciaux sont plus que convaincaints (même si on pourra ergoter sur la scène de l'envol de Daenerys, qui évoque plus ou moins volontairement L'Histoire sans fin), et compte tenu de ce que l'ensemble des fans s'attend à voir les dragons jouer un rôle majeur dans les prochaines saisons, ce petit avant-goût de leurs capacités a eu de quoi marquer durablement les esprits. En conséquence, le budget de la série risque de continuer à grimper si les trois bébés de la Khaleesi viennent à occuper un rôle plus central dans l'intrigue, ce qui ne laissera plus la moindre marge de manoeuvre en terme d'audience et accentuera encore un peu la pression autour des scénaristes.

Arya Stark, cinquième d'un concours de meilleur sosie de Marion Cotillard organisé dans le Yorkshire.
Mais Tyrion Lannister n’est pas le seul personnage phare de la série à avoir quitté Westeros pour Essos : la jeune Arya Stark a suivi le même chemin. Plus jeune fille de la famille Stark qui règnait sur le Nord avant d’être décimée par les traîtrises successives du roi Joffrey, de Theon Greyjoy, de Walder Frey et de Roose Bolton, Arya, garçon manqué, a suivi une trajectoire radicalement différente de ce que sa noble ascendance pouvait laisser supposer. Elle s’est très tôt retrouvée livrée à elle-même, clandestine sur les routes de Westeros, côtoyant, au gré des rencontres, divers figures masculines qui peuvent apparaître, rétrospectivement, comme autant de mentors : le maître d’escrime Syrio Forel dans la première saison, Tywin Lannister dans la deuxième, une bande de hors-la-loi dans la troisième, et Sandor Clegane, dit le Limier (ancien garde du corps de Joffrey Barathéon) dans la quatrième. Ivre de vengeance et passée professionnelle dans l'art de la survie, la jeune fille avait embarqué pour la ville de Braavos à la fin de la saison 4, dans l’espoir de retrouver un assassin métamorphe qu’elle avait croisé auparavant afin qu’il lui transmette son art du meurtre et du déguisement.

Cette nouvelle saison montre donc son apprentissage. Les scènes, souvent aussi longues que lentes, dégagent une inquiétante étrangeté, la majeure partie de l’action prenant place dans un grand temple bâti en l’honneur du bien-nommé Dieu Multiface. Mettant en application l’étrange devise Valar Morghulis, Valar Dohaeris (tous les hommes doivent mourir, tous les hommes doivent servir), Arya est ainsi forcée d’effectuer des tâches répétitives dont le but n’apparaît pas tout de suite clairement, tout en étant déchirée par un dilemme insoluble : pour devenir ce que l’on appelle une Sans-Visage, elle doit renoncer à tout ce qu’elle est, à ses souvenirs, à son désir de vengeance, à son identité. Or, c’est précisément à cause de sa vendetta qu’elle souhaite rejoindre la mystérieuse guilde de tueurs. Le point de de cristallisation est atteint lorsqu’elle croise par hasard un homme qu’elle a juré de tuer depuis longtemps. Délaissant la mission que lui a confiée son instructeur, elle choisit de se faire justice et liquide son ennemi. Son aventure se termine par la sanction que lui a réservée Jaqen H’ghar, l’assassin en chef, pour ce manquement à ses devoirs : elle devient aveugle.

Sansa, Ramsay et Théon en plein three-some.

Mais même seule dans une cité étrangère, Arya est peut-être celle qui s’en sort le mieux parmi les enfants Stark. L’aîné de la fratrie, Robb, a été assassiné à la fin de la saison 3, lors de la séquence culte des Noces Pourpres. Les deux plus jeunes frères sont portés disparus, depuis la fin de la saison 3 pour Rickon le plus petit (dont personne ne sait ce qu’il a pu advenir) et depuis celle de la saison 4 pour Bran (qui doit être quelque part dans au Nord du Mur, dans une situation d’apprentissage similaire à Arya, sauf qu’au lieu d’être formé à changer de visage, il est vraisemblablement en train d’essayer de maîtriser son mystérieux don lui permettant de se glisser dans l’esprit des autres). Reste Sansa, celle qui a vraisemblablement le plus souffert de la famille. Longtemps fiancée au roi Joffrey, elle était la perpétuelle victime de ses humiliations, avait échappé de justesse à un viol de rue et se faisait sans cesse tourmenter par Cersei. Après avoir finalement été répudiée par Joffrey avant de l’avoir épousé, elle se retrouvait, contre son gré, forcée d’épouser Tyrion Lannister – celui-ci, très classe, lui promettait de ne pas consommer le mariage tant qu’elle ne le voudrait pas. A la mort de Joffrey, soupçonnée d’avoir participé à son empoisonnement, elle n’avait d’autre choix que de quitter Port-Réal à la hâte, sauvée in extremis par Petyr Baelish, aka Littlefinger, ancien tenancier de bordel, ex-grand argentier du royaume, spécialiste des intrigues en tous genres, traître professionnel et véritable commanditaire de l'assassinat de Joffrey. La fin de la saison 4 montrait une Sansa enfin plus sûre d’elle-même et de ses qualités, et on l’imaginait volontiers prenant enfin son destin en main.

Las… Innovant par rapport aux romans, Weiss et Benioff ont décidé de faire de Sansa un pion essentiel dans la lutte pour le contrôle du Nord. En effet, depuis la chute de la maison Stark (mort ou disparition de tous ses membres mâles), cette région, la plus septentrionale et la plus vaste des Sept Couronnes, est contrôlée par la famille Bolton, dont la cruauté et la veulerie n’est plus à prouver : Roose, le père, fût le principal félon lors des Noces Pourpres qui ont couté la vie à son suzerain Robb Stark, et Ramsay, son bâtard récemment légitimé, dispose de l’entièreté des caractéristiques psychologiques propres aux pervers sadiques (c’est à lui que l’on doit les insoutenables scènes de torture et de mutilation infligées à Théon Greyjoy en saison 3). Or, les Bolton savent que leur mainmise sur Winterfell, la forteresse qui tient lieu de capitale à cette province, ne tenait que grâce à leur alliance avec les Lannister. Constatant le considérable affaiblisement de ces derniers, il leur faut trouver un nouveau moyen de conserver le contrôle du Nord. Littlefinger, engagé dans une vaste partie d’échecs qu’il est le seul à comprendre (et qui semble avoir pour but de faire de lui l’homme le plus puissant de Westeros malgré sa naissance modeste), saisit vite le parti qu’il peut tirer de la présence de la dernière héritière Stark dont la survie soit certaine à ses côtés, et propose de la marier à Ramsay, en vue de légitimer le statut des Bolton à Winterfell. La jeune femme a beau tenter de protester (il s’agit quand même pour elle d’épouser le fils de l’homme qui a trahi son frère), elle comprend vite qu’elle n’a pas son mot à dire, et se retrouve dans la gueule du loup.

Car s’il existe quelque chose de pire, à Westeros, que d’être la fiancée de Joffrey Barathéon, c’est bien d’être la femme de Ramsay Bolton, champion du monde de salaud. Lors de la nuit de noces, Sansa se fait littéralement violer par son nouveau mari, et ce en présence de Théon Greyjoy, qui est devenu l’esclave personnel de Ramsay, lors d’une séquence qui a provoqué l’un des plus importants scandales de la saison. Belle idée de mise en scène, on ne voit rien du viol, la caméra se fixant sur le regard de Théon, pétrifié, pendant qu’on entend les cris de Sansa. Cette dernière, comprenant le merdier dans lequel elle est fourrée, va tenter d’appeler à l’aide Brienne de Torth, la guerrière qui veille sur elle à distance, mais en vain. Elle parviendra en revanche à réhumaniser Théon, qui en était venu, lors de la saison 4, à être convaincu de s’appeler Schlingue, et après lui avoir arraché un aveu déterminant (ni plus ni moins que la survie de ses deux petits frères Bran et Rickon), elle s’évadera avec lui de Winterfell, lors de l’ultime épisode de la saison, alors que Ramsay est en train de livrer bataille devant la forteresse. Le plan, poignant, de Sansa donnant la main à un Théon retrouvé avant de sauter avec lui dans l’inconnu du haut des remparts, constitue l’un des moments les plus forts de la saison.

Stannis Barathéon dans les affres.

Mais c’est comme si l’essentiel des scènes-choc de la saison figurait dans ses trois derniers épisodes, et c’est ce qui a été le plus reproché à cette cinquième fournée du show de HBO : durant toute sa première moitié, il se passait (a priori) peu de choses, d’où peut-être le sentiment d’ennui éprouvé par certains téléspectateurs - j'y reviendrai succintement en fin d'article. On peut objecter le contraire : c’est précisément parce que les scénaristes ont pris leur temps au début de la saison que les bouleversements ont été si forts à la fin, il fallait le temps de se glisser dans la tête des personnages pour comprendre leurs dilemmes. Au premier rang de ceux-ci, Stannis Barathéon. Frère cadet de feu le roi Robert, il revendique la couronne depuis la mort de celui-ci, ayant été informé de la bâtardise de ses prétendus neveux Joffrey et Tommen. Stannis est un cas complexe : il est le souverain légitime de Westeros, mais a dû mal à susciter l’enthousiasme de la population (comme des fans du show, d’ailleurs). En cause, outre sa nature profondément austère : la présence à ses côtés de Mélisandre, une prêtresse venue de l’autre bout du monde pour répandre la parole du Maître de la Lumière, ce qui passe par le sacrifice de nombreux opposants, brûlés vifs, et l’usage de la magie noire (comme celle qui a permis à Stannis d’évincer son frère cadet Renly, qui convoitait lui aussi le trône). Marié à une femme acariâtre totalement hypnotisée par Mélisandre, père aimant d’une petite fille défigurée par la maladie, Stannis est l’un des personnages les plus complexes de la série, à la fois juste et rigoureux, bon stratège et brillant guerrier, et obligé de composer avec son entourage fanatique qui voit en lui la réincarnation d’un héros mythique destiné à sauver l’humanité, alors que lui, en légitimiste forcené, n’aspire qu’à récupérer le trône qui lui revient de droit.

Après avoir essuyé plusieurs défaîtes (notamment lors de sa tentative de prise de Port-Réal lors de la saison 2), Stannis avait changé de stratégie et déplacé ses troupes vers le Nord, pour venir en aide à la Garde de Nuit, menacée par une attaque de sauvageons – la saison 4 se terminait d’ailleurs par sa victoire. Les premiers épisodes de cette nouvelle saison le voient quitter le Mur en vue de prendre le Nord aux Bolton. Mais l’hiver, annoncé depuis plusieurs années, est enfin en train d’arriver, et la neige ralentit la progression de son armée. Lorsqu’il se tourne vers Mélisandre, dont il connaît les pouvoirs, pour lui demander si sa magie peut lui être de quelque utilité, la réponse de la prêtresse le hérisse : pour influencer le Maître de la Lumière, elle a besoin d’un sacrifice de sang royal, et il se trouve que la seule personne qui puisse faire l’affaire est la fille de Stannis, la petite Shôren, gamine rêveuse et attachante, qui fut touchée durant son enfance par la terrible léprose (cette maladie que contracte également Jorah Moront, et qui transforment progressivement la peau en écaille). Stannis refuse catégoriquement. Mais le temps presse : embourbés dans la neige, ses hommes commencent à déserter, les provisions sont vite épuisées (du moins celles qui n’ont pas été volées ni brûlées par l’avant-garde des Bolton), les chevaux meurent de froid, et la venue de l’hiver empêche tout retour au Mur. Finalement, tel Agamemnon permettant le départ de la flotte grecque, Stannis n’a pas d’autre choix que de sacrifier sa fille lors du neuvième épisode. La scène, traumatisante, de la petite Shôren attachée à son bûcher, implorant l’aide de son père, a fait davantage encore scandale que celle du viol de Sansa par Ramsay Bolton. Après le meurtre de son frère Renly grâce à la magie noire en saison 2, c’est une seconde ignominie commise par Stannis, qui se replace en tête des personnages les plus haïs de la série. 

Conformément à ce que la prêtresse avait annoncé, la neige se met à fondre suite à la crémation, mais alors qu'il aurait dû en profiter pour marcher sur Winterfell, Stannis doit faire face à la désertion de la plus grande partie de son armée et de l’entièreté de sa cavalerie, avant de découvrir le cadavre pendu de son épouse : tous sont horrifés par l'infanticide dont il vient de se rendre coupable. Comprenant qu’elle n’a pas forcément misé sur le bon cheval, Mélisandre en profite pour s’éclipser. C’est le moment choisi par l’armée des Bolton pour charger. En infériorité numérique, sans un seul cheval face à des hordes de cavaliers, les derniers fidèles de Stannis sont décimés, et d’Agamemnon, le prétendant au trône devient Richard III, abandonné de tous et acculé. Sorte d’hybride barbu d’Al Pacino et de Jason Statham, son interprète, l’Anglais Stephen Dillane, pur shakespearien et grande révélation de la série, donne la pleine mesure de son talent dès qu'il apparaît à l'écran. A la fin de la bataille, quand il se retrouve face à Brienne de Torth, la guerrière qui a juré de venger Renly Barathéon, et qu’elle le condamne à mort, en un regard (paupière lourde et sourcil froncé), en une phrase marmonnée avec lassitude (« faîtes ce que votre devoir exige »), Stephen Dillane réussit à évoquer le ratage monumental qu’a été la vie de son personnage, un homme de devoir et de droiture dont seuls les crimes infâmes seront retenus. L’épée de Brienne se lève, et une coupe de montage nous empêche de voir voler la tête de Stannis Barathéon.

Jon Snow, ça sonne quand même plus classe que Jean Neige, non ?

Si Stannis est encore en vie dans le cycle de romans où la bataille de Winterfell n'a pas encore eu lieu, et que sa mort (s’il elle est avérée...) a été une surprise pour tous, ce n’est pas le cas d’un autre personnage emblématique : Jon Snow. Car si un évènement, survenu lors de la dernière scène du dernier épisode de la saison, a plus encore qu'aucun autre réussi à provoquer un émoi sans précédent chez tous les suiveurs du show, c’est bien l’assassinat du supposé bâtard de Ned Stark par un petit groupe de Frères Jurés de la Garde de Nuit. Au sein d’une saison injustement décriée, l'un des rares arcs narratifs à avoir réussi à faire l’unanimité est pourtant celui qui se déroule au Mur, et ce en grande partie grâce à une mise en scène souvent brillante (l'inconnu Miguel Sapochnik, réalisateur sobre et lyrique des épisodes 7 et 8, pourrait bien refaire parler de lui prochainement). Alors que ce qui s’y déroulait les saisons précédentes avait souvent été pointé du doigt, cette nouvelle livraison d’épisodes obéit à une logique implacable, et est servie par la remarquable progression de l’acteur Kit Harrington, qui joue Snow : mauvais comme un cochon dans les premières saisons où il était anti-charismatique au possible, le jeune homme s’est visiblement mis au travail et compose désormais un héros enfin convaincant, au leadership palpable.

Après avoir repoussé, grâce à l’armée de Stannis Barathéon, les hordes de sauvageons (ces peuples qui vivent au Nord du Mur et qui, voyant l’hiver et ses sinistres créatures arriver, avaient tenté de se réfugier au Sud en attaquant la Garde de Nuit pour forcer le passage), Jon Snow change de dimension lors de cette nouvelle saison, ce qui rend sa fin tragique d’autant plus inattendue. D’abord, il refuse la proposition de Stannis, qui lui offre le Nord si la Garde et les sauvageons se joignent à lui dans sa conquête : son devoir, considère-t-il, est de rester au Mur et de lutter contre ce qui se prépare (en l’occurrence, l’arrivée des Marcheurs Blancs, ces fameux êtres maléfiques que l’hiver a réveillé, et leur armée de morts). Ensuite, il défie ouvertement Stannis, en interrompant le sacrifice du chef sauvageon Mance Rayder, préférant l’achever d’une flèche en plein cœur plutôt que de le regarder brûler vif. Elu Lors Commandant de la Garde de Nuit dans la foulée, il assoit son autorité en exécutant l’un de ses rivaux, qui refusait de lui obéir. Enfin, il prend la décision, lourde de conséquence, de tendre la main aux sauvageons, ennemis de toujours des Frères Jurés, en leur proposant de s’allier pour lutter contre les Marcheurs Blancs, et ce contre l’avis de la majorité des troupes qui viennent de le choisir pour chef. Son escapade pour parlementer avec les chefs sauvageons est l’occasion d’une des scènes les plus mémorables de toute l’histoire de la série : alors qu’il a convaincu certains d’entre eux de le rejoindre, les Marcheurs Blancs surgissent, et éclate une bataille que rien (ni le contexte narratif, ni la promo qu’avait fait HBO de l’épisode) ne laissait présager. Spectaculaire en diable, d’une durée de plus de vingt minutes, l’affrontement est l’occasion, en quelques plans sublimes, d’offrir à Jon Snow une densité quasi-mythologique, juste après qu’il ait occis d’un coup d’épée le Marcheur Blanc qu’il affrontait. Si les rangs sauvageons sont décimés, Jon parvient malgré tout à ramener avec lui au Mur un contingent non négligeable de ses anciens ennemis, en vue de lutter ensemble contre la menace qui se profile.

Mais effacer en quelques jours des millénaires de lutte armée entre sauvageons et Frères Jurés est une décision qui passe mal auprès de certains membres de la Garde, désormais enclins à considérer leur chef comme un traître. Et la séquence finale du dernier épisode, qui voit un petit groupe de Gardes poignarder Jon Snow à tour de rôle en rythmant leurs coups de couteau d’une ronde de « pour la Garde » rappelle l’assassinat de Jules César, achevant la shakespearisation de la série, qui peut clore cette cinquième saison sur l’image, silencieuse, du 998ème Lord Commandant de la Garde de Nuit étendu sur la neige, seul, dans la nuit, tout baigné de son sang. Jon est-il réellement mort ? La bataille homérique face aux Marcheurs Blancs l’avait consacré en tant que plus grande figure épique de la série. Le début de la saison avait montré la prêtresse Mélisandre manifester un intérêt soutenu pour sa personne, et précisément, juste avant l’assassinat de Jon, une courte scène avait montré la femme fatale revenir au Mur après avoir abandonné Stannis – or, on sait que les prêtres du Maître de la Lumière ont le pouvoir de faire ressusciter certains sujets… Se pourrait-il, dès lors, que Jon revienne d’une façon ou d’une autre ? Le débat, qui agitait déjà les lecteurs des romans (le dernier tome paru à ce jour se termine, de façon identique, sur l’assassinat du personnage), s’étend à présent aux fans de la série. Mais cette question n’en est qu’une parmi les dizaines que pose cette fin de saison.


Luke, je vais bentôt te dire que je suis ton père.

Car Jon n’est pas le seul dont le décès ne soit pas certifié. Stannis, condamné à mort par Brienne quelques minutes plus tôt dans le même épisode, n’a pas été montré décapité. Aurait-il pu survivre lui aussi ? De la même façon, l’évasion de Théon et Sansa, fuyant Winterfell, a été montrée d’une façon très ambiguë, leur saut dans le vide pouvant être perçu, au choix, comme une fuite ou un suicide. Sont-ils morts ou vivants ? Et compte tenu du nombre et de la puissance de leurs ennemis, si l’un de ces personnages a réussi à arracher, en même temps qu’un sursis, une présence dans la saison 6, comment se débrouillera-t-il pour survivre alors que le froid et la neige s’étendent partout et que les dangers se multiplient dans le Nord ? Ailleurs aussi, les interrogations sont nombreuses. Si l’arc narratif se déroulant à Meeren voit Tyrion assumer le gouvernement de la cité en crise, Daenerys, elle, se retrouve dans la pampa avec son dragon blessé, et bientôt entourée par une horde de dothrakis, ces cavaliers féroces rappelant les Huns qu’elle avait côtoyés lors de la première saison. Comment va-t-elle négocier ces retrouvailles intempestives ? Sans même parler de ce qui demeure son objectif principal, à savoir le retour et la conquête de Westeros, ni évoquer tous ces autres personnages dont la situation est critique : Jaimie Lannister, qui vient de voir sa fille mourir dans ses bras, Cersei, qui après son humiliation a rencontré un mystérieux et colossal guerrier tout droit sorti du laboratoire de l'intriguant Qyburn, Loras et Margeary Tyrell, qui croupissent encore en prison, Littlefinger et son plan secret pour conquérir le monde, ou encore Tommen, qui est encore assis sur le Trône de Fer, malgré sa bâtardise, son inexpérience et la purge opérée parmi son entourage…

Si les grandes lignes de l'intrigue à venir apparaissent comme prévisibles (l'Hiver qui s'étend du Nord aux autres provinces de Westeros, et avec lui les Marcheurs Blancs et leurs créatures, devenant progressivement la menace numéro 1 pour tous ceux qui pensent à pour l'instant avant tout à se déchirer), le chemin pour y parvenir apparaît plein d'incertitudes, surtout quand on connaît la propension de George Martin et de ses disciples Weiss et Benioff à faire mourir tout personnage trop proche de devenir un héros. Mais devant quel public ? Car si cette cinquième saison de Game of Thrones a encore battu des records d'audience comme de téléchargement (avec comme points d'orgue la fuite de quatre premiers épisodes la veille de la première diffusion, puis la propagation virale de photos révélant les morts de Jon Snow et de l'épouse de Stannis la veille du dernier épisode), les critiques, elles se sont fait plus férocement entendre encore que les années précédentes.

La première tient au caractère sexuel de la série, et on peut y déceler une certaine hypocrisie. Nombreuses, en effet, ont été les condamnations du viol de Sansa par Ramsay Bolton en conclusion de l'épisode 7 - or, comme déjà mentionné plus haut, tout a été figuré hors champ, sans image-choc ni voyeurisme de la part des réalisateurs. Au-delà de ce cas particulier, c'est l'accusation récurrente (et absurde) de misogynie qui est revenue s'abattre sur le show. Absurde, car comme beaucoup l'ont déjà souligné, Game of Thrones propose un nombre impressionnant de femmes fortes parmi ses principaux personnages, chacune à sa manière (la manipulatrice Cersei, la passionnaria Mélisandre, la guerrière Brienne, l'idéaliste Daenerys, la survivante Arya, la matriarche Olenna Tyrell...), surtout si l'on considère que le contexte du récit est, peu ou prou, celui du Moyen-Âge. Absurde, aussi, quand l'on considère que les hommes ne sont pas mieux lotis : trois des personnages les plus importants, Théon Greyjoy, Varys (présents l'un comme l'autre depuis la première saison) et Ver Gris ont ainsi été émasculés, et leur taux de mortalité est largement plus élevé que celui de la gent féminine... Absurde encore, si l'on admet, et cela demande un certain effort, qu'il n'est pas plus flatteur de présenter un personnage comme un bourreau que de le peindre en victime. Absurde toujours, quand on se souvient que le dépucelage pédophile du jeune roi Tommen par son épouse Margaery n'a, comme évoqué plus haut, absolument choqué personne (qu'en aurait-il été avec un roi de vingt-cinq ans forniquant avec son épouse de treize ou quatorze ans ?). Absurde enfin, car si la série s'est fait une spécialité (d'aucuns parleraient de plaisir coupable) de présenter des corps nus, ceux-ci ne sont qu'en de très rares occasions filmés de façon érotique, et rarement dans leur plus grande intimité : ainsi, si l'on aperçoit quelques phallus cette saison, la caméra se borne à filmer les pubis féminins sans jamais chercher à descendre plus bas - pour ce qui est des torses, on en dénombre à peu près autant de chaque sexe.

L'autre principale critique faite à cette cinquième saison a été son déroulement global, souvent jugé ennuyeux, prévisible, sans rebondissement et dénué d'action, avant l'explosion des trois derniers épisodes, qui a été assimilé à une surenchère compensatoire un peu grotesque. Or, si la saison a effectivement adopté un rythme plus lent que les années précédentes, c'est pour mieux se charger en gravité : l'Hiver, longtemps craint, est enfin arrivé, et entre lentes déchéances (emprisonnement de Cersei, damnation de Stannis, incapacité à gouverner correctement de Daenerys) et chutes brutales (Jon assassiné, Jaimie témion de la mort de sa fille, Arya rendue aveugle), la plupart des héros se retrouve à un point de non-retour. La série étant prévue pour ne durer que sept saison, bien qu'une huitième ne soit pas à exclure, le terme se rapproche, et le récit prend de plus en plus l'apparence d'une danse avec la mort. Ainsi, alors que certains apparaissent clairement en sursis à l'heure actuelle, d'autres ont été moins chanceux, et non des moindres. Deux prétendants possibles au Trône de Fer ont ainsi été écartés a priori définitivement : le chef Mance Rayder, qui s'était fait proclamer Roi d'au-delà du Mur après avoir unifié l'ensemble des clans sauvageons, et bien sûr Stannis, victime d'un funeste épisode 10 qui a également vu les disparitions de Selyse, son épouse, de Myrcella Lannister-Barathéon, de Meryn Trant et bien sûr de Jon Snow. Plus tôt dans la saison, c'est Barristan Selmy, le plus proche conseiller de Daenerys, qui avait passé l'arme à gauche (épisode 4), imité en cela par Janos Slynt, ancien garde royal ayant rejoint le Mur (épisode 3), Aemon Targaryen, le plus ancien Frère Juré de la Garde de Nuit (épisode 7) ou encore Shôren Barathéon, la fille sacrifiée de Stannis (épisode 9). Chacun de ces décès a rebattu les cartes et permis à l'action d'avancer.

Car l'action, ce n'est pas seulement des types qui se foutent sur la gueule à coups d'épées (encore qu'on en a eu notre content cette saison, entre le combat furieux dans les rues de Meeren, la monumentale bataille entre sauvageons et Marcheurs Blancs ou la tentative de putsch contre Daenerys qui aboutit au retour de son dragon), c'est surtout une intigue qui avance. Chaque personnage a considérablement évolué, cette année, malgré les apparences. En fin de saison 4, on avait quitté Sansa dans le Val au bras de Littlefinger et cette fois-ci, c'est en pleine cambrousse nordienne et avec Theon qu'on l'abandonne ; on avait laissé Tyrion caché dans une caisse en route vers un futur brumeux et incertain, et on le quitte cette fois chargé d'assurer la régence de Meeren jusqu'au retour de Daenerys ; et je pourrais continuer la liste pendant longtemps. Ceux qui déplorent le manque de batailles ont vraisemblablement un souvenir biaisé des saisons précédentes, qui ont toujours accordé une place très large aux dialogues (avec des acteurs comme Peter Dinklage ou Lena Headey, ce serait dommage de se priver).


Brienne au vert.


D'autres critiques émergent ici ou là. Celles des lecteurs de George Martin, nombreux à déplorer les libertés prises par la série vis-à-vis des romans, ne sont pas recevables : Game of Thrones doit être jugé en tant que série, et uniquement en tant que série, en faisant totalement abstraction de l'oeuvre de laquelle le show a été adapté, aussi formidable que puisse être la saga de Martin. L'exemple, funeste et déjà évoqué, du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson est à méditer : avec un souci écrasant de fidélité littérale à la trilogie de Tolkien, le cinéaste néo-zélandais avait produit un salmigondis new age qui avait autant de personnalité qu'une photocopie couleur. D'autres reproches concernent la supposée tendance à la surenchère de la série : toujours plus de sexe (ce qui est purement faux sachant qu'il s'agit vraisemblablement de la saison la plus chaste de l'histoire du show), toujours plus de violence (ce qui sera difficilement démontrable, la longue torture de Théon en saison 3 et l'explosion du crâne d'Oberyn en saison 4 restant pour l'instant inégalés en matière d'envie de fermer les yeux en attendant que la scène se termine) et toujours plus de personnages clés qui décèdent alors qu'on ne s'y attend pas (malentendu originel, l'exécution de Ned Stark à la fin de la première saison était à ce propos moins un rebondissement qu'un programme). Selon ces mêmes détracteurs, le show serait devenu sa propre caricature. Il s'agirait davantage, selon moi, de dire qu'il ne s'est pas renié, et a conservé ce qui est son ADN véritable : 50% Macbeth, 15% Emmanuelle, 5% La Nuit des Morts-Vivants, 5% Jurassic Park et 25% Psychose. C'est-à-dire 100% la classe.